REINE, ROI et DAUPHIN...

PRINCESSES et PRINCES...

 

1. Qui a commandé La Chasse à la licorne ?

 

La thèse de James Rorimer (directeur des Cloisters dès 1949, puis conservateur du Metropolitan Museum of Art de New York) parue en 1942 me paraît convaincante pour l'identification du couple qui accueille la licorne morte dans la sixième tapisserie : Anne de Bretagne et Louis XII. Mais je ne le suivrai pas quand il écrit que les cinq tapisseries centrales de La Chasse à la licorne ont été tissées pour Anne de Bretagne à l'occasion de son mariage avec Louis XII le 8 Janvier 1499. Trois jours après la mort de son époux, le principe du mariage avec Louis XII est acquis, à la condition que Louis obtienne avant un an l'annulation de son mariage avec Jeanne, la fille de Louis XI. Ce mariage a donc été quelque peu précipité : neuf mois séparent la mort accidentelle de Charles VIII à 27 ans le 7 avril 1498 et le second mariage d'Anne. Et l'on sait que plusieurs années sont nécessaires pour dessiner et tisser une telle série de tapisseries.

Il faut sans aucun doute rechercher un autre motif pour cette création. La Chasse à la licorne est selon moi une œuvre de longue haleine dont le dessein était de célébrer la famille royale des Valois régnante à travers le millénaire du baptême de Clovis (499-1499), un événement important dans les légendes chrétiennes fondatrices de la monarchie française.

Histoire généalogique des Rois de France, depuis les origines jusqu'à Louis XII [1501], traduite du français (fol. 4 r°) par Johann von Morssheim (fol. 2 r°) et dédiée au roi de France. BnF, Département des manuscrits, Allemand 84.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52000978v/f145.planchecontact

En ces années, le légendaire Pharamond était considéré comme le premier roi de France, rédacteur présumé de la loi salique (les femmes et les filles étaient écartées définitivement du pouvoir royal). Mais, pour tous, le vrai fondateur de la monarchie était Clovis, archétype de tous les rois de France, qui fut qualifié de saint à la fin du Moyen Âge, acquérant alors certains des attributs de sainteté : les miracles et le pouvoir d'intercession.

Un tel projet demande des années de préparation pour que la tenture soit prête à temps.
L'artiste conçoit alors une suite de tapisseries où seront enlacées deux "Histoires" : l'Histoire de l'humanité selon la Bible avec pour point d'orgue la passion du Christ et l'Histoire de France qui culminera avec la présence de la famille régnante au complet.

Tous les membres de la famille royale des Valois devaient donc être rassemblés sur cette l'ultime tapisserie pour la "photo souvenir". L'artiste s'arrange donc, avec brio, pour qu'apparaissent au premier plan les souverains Louis XII et Anne de Bretagne (et le dauphin derrière eux qui marque tant d'amitié au chien), tout en accordant à la famille de Beaujeu une place de choix, visible de loin : Anne de France, Pierre de Bourbon, voire Charles de Montpensier, sous l'arche éclatante de "La Porte dorée" et Suzanne à l'extrême droite, place privilégiée.

Compte tenu du temps nécessaire pour le tissage, il est possible que la dernière tapisserie ait subi quelques retouches rendues obligatoires par la mort subite de Charles VIII.

Louis XI (roi de 1461 à 1483) est-il à l'origine de cette commande qui devait être achevée pour 1499 ? Peut-être est-ce Charles VIII, sous la houlette de sa sœur Anne de France, qui a concrétisé une idée mûrie par leur père. Anne de France a dû s'investir beaucoup dans ce projet et a peut-être eu l'idée, après leur création, d'utiliser les tapisseries comme supports pédagogiques et mnémotechniques, pour l'éducation des princes et princesses royales qui lui étaient confiés.

Dans son intention encyclopédique, la tenture évoque tous les faits, divins, légendaires et historiques, qui sont alors connus en ce royaume de France et qu'un futur roi, qu'une future reine, se doit de connaître pour gouverner son pays, voire le "monde ".

Les différents "récits" sont évoqués quasiment toujours dans l'ordre chronologique et dans l'ordre des tapisseries. Ces évocations tissées visaient la connaissance et la mémorisation de faits historiques : apprendre à savoir organiser sa mémoire, et conséquemment, savoir penser. Puis le livre imprimé apporta à la mémoire un soutien différent, plus personnel et plus accessible. De plus, à la suite d'Humanistes comme Érasme, on préféra classer ses idées selon un ordre déductif, rationnel, plutôt que selon un ordre fixé dans l'imagination. "L'art de la mémoire ", si longtemps cultivé, finit par disparaître.

 

Revoyons tout, point par point...

 

2. Le couple " royal " au premier plan

2.1. Les lettres A et Э

 

Les arguments de James Rorimer sont à retenir. Le couple de lettres A-Э liées par une cordelière permet une première identification. Il est distribué ainsi :

— cinq fois (un dans chaque coin et un au centre) dans les tapisseries 1, 2, 3 (+ le couple F-R en haut au centre) et 4

— [ dans la tapisserie incomplète 5 : un couple en haut à gauche et la lettre A incomplète au centre ]


dans la tapisserie 6 : un couple manquant au centre et en bas à droite ; la seule lettre A en haut à gauche


dans la tapisserie 7 :
deux particularités

— un couple manquant en bas à gauche
— la lettre Э ne possède pas la barre centrale et devient un C à l'envers
(le C de Charles ? pour célébrer l'entrée de Charles VIII à Naples en février 1495)
Oubli au cours du tissage ?

Sur les colliers de certains chiens, peuvent apparaître la lettre A seule avec des blasons, les lettres A-E à l'endroit et A-Э inversé


Jean Poyer, Livre d'heures d'Anne de Bretagne, 1492-1495
New York, The Morgan Library & Museum

https://www.themorgan.org/collection/Anne-De-Bretagne

Les dessins qui bordent les pages des Petites Heures d'Anne de Bretagne peuvent-elles confirmer la présence d'Anne de Bretagne ?

Horae ad usum Rothomagensen, dites Petites Heures d’Anne de Bretagne
enlumineur : Maître des Triomphes de Pétrarque
1500-1505, Bnf, ms. NAL 3027

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84328965/f60.item

L'artiste joue ici avec les lettres A, N, Є et Э, (Є et Э rigoureusement identiques mais inversées) qu'il agence dans des décors tous plus beaux les uns que les autres. Ce pouvait être un jeu pour lui de déguiser lettres et personnages, jouer avec les plusieurs sens possibles d’un élément.

S'y mêlent, avec parfois des lacs d'amour, les emblèmes dynastiques bretons dont Anne de Bretagne a hérité de ses prédécesseurs ducs de Bretagne : l'hermine passante (de Jean IV, 1345-1399) et la cordelière (de François Ier, 1414-1450 ; corde à nœuds, la ceinture des robes de bure des frères franciscains en hommage à son saint patron François d'Assise). D’autres maisons proches des Franciscains ont employée la cordelière, comme celle des Savoie. À la dévotion envers le saint italien, Anne de Bretagne y ajoute le souvenir des cordes qui auraient lié le Christ pendant la Passion.

 

Les deux Є sont reliés par un trait oblique et forment ainsi la lettre N. Deux A peuvent se deviner dans ce N. Le prénom ANNE peut alors se lire.

L'ordre de l’Hermine est un ordre de chevalerie fondé en 1381 par Jean IV, duc de Bretagne. Sa devise est : « À ma vie, comme j’ay dit ».

L'ordre de la Cordelière ou ordre des Dames chevalières de la Cordelière est un ordre de chevalerie créé en 1498 par Anne de Bretagne. Sa devise était : « J'ay le corps délié ». La cordelière apparaît aussi dans les familles de Savoie et de Clèves, puis d'Orléans.

Anne de Bretagne fit usage aussi du blason semé de mouchetures d'hermine, dit en héraldique française " bannière d'hermine plain " (hérité de Jean III), de son chiffre, la lettre A couronnée, de la devise Non mudera (je ne changerai pas), et d'une forme particulière de la cordelière paternelle, nouée en 8. Ses emblèmes furent joints dans la décoration de ses châteaux et manuscrits avec ceux de ses maris : l'épée enflammée pour Charles VIII et le porc-épic pour Louis XII.
On retrouve son blason dans de nombreux lieux où elle est passée ou liés à ses fonctions, de duchesse ou de reine.

* * * * * * *

J’avance une hypothèse sur ce topos introduit ici dans un contexte matrimonial et dynastique  :
A Є : l’épouse Є tourne le dos à l’époux A.
A Э : les deux époux sont face à face, (à une distance courtoise) permettant l’imbrication des corps en toutes leurs parties (bouches, bras, jambes, sexes).
Comme le demande et l’autorise le nœud ou lacs d’amour qui à la fois les sépare et les unit. Cet acte doit conduire à la procréation. Amour et génération intimement réunis. Érotisme admis dans les salles du palais, dans les chambres mêmes. Les entremêlements de cordes dessinant des ovales évocateurs, métaphores du l’union charnelle, stimuleront l’amour entre les époux et transcenderont l’acte conduisant à la fécondité.

 

* * * * * * *

 

Roger Rodière, note lue sur les tapisseries de la Licorne de Verteuil, Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1916, p. 310-311.

" Dans l'une des tapisseries [n°1 : le départ de la chasse], celle qui est placée dans le corridor proche du salon, le collier d'un chien de chasse (dans le coin en bas, à la droite du spectateur) porte un écusson écartelé : 1 et 4, fascé d'or et d'azur, à trois annelets de gueules brochant sur les deux premières fasces ; 2 et 3, d'or à trois maillets de gueules. Ce sont les armes, très caractéristiques et impossibles à confondre avec d'autres, de la maison de La Viefville, en Picardie et en Artois, écartelées de Mailly-Lorsignol.

Jean, sire et baron de La Viefville, seigneur de Blessy, vicomte d'Aire, gouverneur et capitaine général d'Artois en 1328, épousa Marie de Mailly, dame de Nédon, fille de Jean, chevalier, et d'Isabeau d'Haveskerque. Marie étant l'héritière de sa branche, ses descendants écartelèrent ses armes.

Jean de La Viefville, capitaine général de l'Artois, décédé le 26 août 1346 à la bataille de Crécy.
Fils de Pierre III de La Viefville, vicomte d'Aire, seigneur de La Viefville et d'Enguinegatte, décédé en 1319 et de Jeanne de Rely, décédée en 1337 (Mariés en 1294).
Marié en 1335 avec Marie Antoinette de Mailly, dame de Nédon, née en 1318, décédée en 1372 ; fille de Jean II de Mailly, seigneur de Nédon (†1355) et de Nelly de Haverskerque (1303-1359) .
Leurs enfants :
- Gauvain de La Viefville, vicomte d'Aire (†1397), marié en 1364 avec Aélis de Heuchin, dame de Thiennes.
- Jean de La Viefville marié avec Béatrix du Bois de Fiennes.

Les armes des de Fiennes, famille de Barbe du Bois, la seconde épouse de François 1er de La Rochefoucauld, sont-elles représentées en partie par le " lion rampant " que Margaret Freeman voit dans un drapeau de la tapisserie 6 ?
http://gw1.geneanet.org/frebault?lang=fr;p=jean;n=de+la+viefville

Je dois dire, d'ailleurs, que je n'ai pas trouvé jusqu'ici au XVe siècle, dans la généalogie de La Viefville, deux époux aux initiales A E. Mais l'histoire de cette vieille maison féodale est bien mal connue.

Ce qui est certain, c'est que la dernière descendante de la branche aînée des La Viefville, Marie, épousa avant le 17 février 1453 Antoine, dit le Grand Bâtard de Bourgogne, fils naturel de Philippe le Bon ; ce prince, fastueux et magnifique comme son père, est très capable d'avoir commandé les belles tapisseries qui nous occupent.

Il est vrai que ses armes, à lui, ne s'y trouvent pas. Mais elles ont pu disparaître dans quelque restauration. Rien n'empêche, d'ailleurs, de supposer que les La Rochefoucauld aient fait supprimer, lorsqu'ils ont acquis ces tapisseries, les armoiries étrangères à leur maison. Le collier de chien, à cause de son exiguïté, aurait passé inaperçu.

Bref, je ne prétends nullement trancher la question, mais il était utile de verser au dossier des tapisseries de Verteuil la mention du collier aux armes de La Viefville et de Mailly, détail que personne n'avait encore signalé. "

Armes des Viefville : "Fascé d'or et d'azur de huit pièces et trois annelets de gueules posés en chef brochant sur les deux premières fasces".

Armes des Mailly: "D'or à trois maillets de sinople". Devise : " HOGNE QUI VOURA " = " Gronde qui voudra "
La maison de Mailly est une ancienne famille noble originaire de Mailly-Maillet, en Picardie.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_seigneurs_de_Mailly

Armes de Philippe de Bourgogne :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Armorial_des_Cap%C3%A9tiens

Armes de Steenvoorde :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Steenvoorde

 

2.2. La reine : Anne de Bretagne

Jean Bourdichon - Les Grandes Heures d'Anne de Bretagne
(avec les saintes Anne, Ursule et Marguerite)
Paris - Bnf - Ms lat. 9474 f° 3

Voir aussi : Anne de Bretagne, d'après Jean Perréal :

http://www.portrait-renaissance.fr/Actualites/Expositions/expositions_terminees.html

Mais n'est-elle pas trop âgée et son visage paraît bien 'étroit' par rapport à celui d'Anne de Bretagne à 22 ans. L'artiste l'a-t-il 'vieillie' volontairement (de même que l'enfant) pour évoquer une progéniture mâle vivante, apte à assurer la successsion sur le trône ?

Certains la reconnaissent aussi au tombeau de François II duc de Bretagne à Nantes, sous le traits de Justice, coiffée d'une couronne fleurdelysée, les bras recouverts d'une armure, richement et noblement habillée, son surcot ouvert semé d'hermines. (Le surcot se compose le plus souvent d'un corsage sans manches, très découpé, sur lequel se détache une rangée de boutons orfévrés, et d'une ample jupe traînante. La richesse du tissu, sa décoration et sa longue traîne lui donnent son caractère somptueux.)

 

L'écureuil apporte lui aussi sa petite graine à l'édifice des preuves : sur la fameuse tapisserie de Mazarin qui est maintenant dans la collection Joseph Widener à la National Gallery of Art de Washington, Anne, assise au côté de Charles VIII, tient en son giron un écureuil et la cordelière est présente. Mariée à Charles en 1491, Anne est alors âgée de quatorze ans. Alexandre Lenoir écrit en 1819 qu'il y a un autre portrait de la reine avec un écureuil.

(Emile Gabory, "Iconographie d'Anne de Bretagne", Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de la Loire-Inférieure, vol. LXXVI (1937), pp 93-103. Vingt-six portraits sont mentionnés.)

(Description d'une tapisserie rare et curieuse faite à Bruges, représentante, sous des formes allégoriques, le mariage du Roi de France Charles VIII, avec la Princesse Anne de Bretagne (Paris). Cette tapisserie est très similaire dans le style et dans certains détails à la Chute et la Rédemption de l'homme, tapisserie donnée au Metropolitan Museum en 1917 par Oliver Payne. La tapisserie Mazarin est attribuée à Jan van Room ; la tapisserie au Metropolitan Museum lui est aussi attribuée sur la base d'une inscription, ROEM.)

Э

Nous avons traversé la vie ainsi que chiffres enlacés
Écrits de neige sur le drap de gauche à droite moi d'abord
Initiale à ton sommeil te gardant de l'aube à bâbord
Et sur l'oreiller pâle et doux la lettre d'Elsa renversée
Car l'alphabet de ton pays possède ce signe à l'envers
Que me traduisent les miroirs et qui paraît oiseau volant
N'étant que la courbe d'aimer le refuge d'un geste blanc
Baiser perdu Main des adieux croissant de lune ou cœur ouvert
Dans le paraphe de tes bras leur accolade où tout s'inscrit
Et le bonheur et le malheur jusqu'au matin dormant ensemble
O mon amour couleur du temps tout ce qui tremble te ressemble
        Ton silence adorable entre en moi comme un cri

Aragon, Le Fou d'Elsa, 1963

 

2.3. Le roi : Louis XII

 

Pour identifier Louis XII, James Rorimer retient son nez pointu, les plis de son menton, la coupe de ses cheveux et ses longs doigts. Les couleurs de ses vêtements sont pour l'auteur une preuve convaincante : le roi porte un bonnet blanc, une robe ou courte tunique rouge et des bas rayés rouge et blanc. Après son mariage avec Anne, Louis a ajouté la couleur blanche à ses couleurs, le rouge et le jaune, et il utilisait souvent le rouge et le blanc exclusivement.

Dans les tapisseries, certains chasseurs portent les couleurs de Louis sur leurs chausses rouge et blanc.

Les cinq tapisseries centrales, à en juger par un petit fragment de la bordure d'origine, étaient encadrées avec deux bandes étroites, l'une blanche et l'autre rouge. En dehors de ces bordures, il y avait une bande bleue (bleu gris) plus large, la couleur traditionnelle de la royauté en France. Les cordelières utilisées pour lier les initiales A et E dans les cinq tapisseries centrales sont également en rouge et blanc (argent).

Louis d'Orléans est déclaré roi de France le 8 avril 1498, sous le nom de Louis XII.

Louis XII (1462 – 1515)

La présence de Saint Louis (Louis IX) dans cette tapisserie est un argument supplémentaire pour reconnaître Louis XII dans le roi qui accueille la licorne et le pèlerin. (Voir plus loin)

 

 

2.4. Pavillons et drapeaux

Les pavillons ou drapeaux qui flottent au-dessus des bâtiments des tapisseries apportent leur pertinence à la démonstration. La croix noire de Bretagne est représentée sur un champ blanc (argent) ou sur un champ jaune et or. James Rorimer reconnaît le porc-épic de Louis XII, rouge, dressé sur le fond blanc (argent) d'un drapeau. À l'extrême droite de la sixième tapisserie, deux fanions portent selon lui les couleurs de Louis, le rouge et le blanc. D'autres drapeaux dans cette tapisserie sont rouge et blanc (argent) et rouge et jaune.

Tapisseries 3 et 6

Est-ce la croix noire des Bretons qui "double finalement le message de l'hermine" choisie seule depuis 1364 ? Croix que Jean IV * choisira car il ne veut ni la croix blanche de Saint-Michel de la France ni la croix rouge de Saint-Georges des Anglais.

* [Jean IV, dit Jean le Conquéreur ou Jean le Vaillant, né en 1339, mort le 9 novembre 1399 à Nantes, fils de Jean de Montfort et de Jeanne de Flandre, duc de Bretagne de 1345 à 1364 en compétition avec Charles de Blois, puis seul duc de 1364 à 1399, comte de Richemont et comte de Montfort de 1345à 1399]

http://fr.wikipedia.org/wiki/Drapeau_de_la_Bretagne

Bretons à croix noire contre Anglais à croix rouge.
Cette illustration représente un événement survenu en 1351, mais est beaucoup plus tardive ; les équipements correspondent à la fin du XVe siècle et on ne peut donc pas en conclure que la croix noire était déjà portée au XIVe.

(Chroniques et histoire des Bretons de Pierre le Baud, Le Combat des Trente (détail), miniature du XVe siècle, BNF)

 

http://www.histoire-fr.com/valois_charles7_4.htm

Une croix qui " l'identifie comme autorité autonome […] la croix noire est bien d'abord le signe de l'identité politique du duc avant d'être celui d'un peuple. Les circonstances vont pourtant faire progressivement évoluer ce signe vers une marque d'identité nationale. " (Laurent Hablot, La Croix noire des Bretons : un signe d'identité politique à travers l'histoire, p.57q, in Signes et couleurs des identités politiques du Moyen Âge à nos jours, Presses Universitaires de Rennes, 2008). Dans le dernier tiers du 15ème siècle, la croix noire distingue bien les combatttants bretons.
En 1487, sous les bannières à croix noires, des milliers de Bas-Bretons et de Guérandais viennent délivrer Nantes assiégée.

Le navire amiral de la flotte bretonne, La Cordelière, armé aux frais d'Anne de Bretagne vers 1496, et coulé en rade de Brest en 1512 par le navire anglais le Regent, présente sur une illustration de l'époque " différents signes d'identité de l'autorité ducale, un signe féodal : l'écu herminé, un signe personnel et curial : la cordelière, un signe militaire et national : la croix noire. "
" La Croix noire est donc progressivement devenue le signe d'un peuple en armes. "

Anne de Bretagne créa un Ordre féminin personnel : " la Cordelière ". Cet Ordre, qui existait au titre de la Chevalerie, avait été imaginé par François II, très dévôt à saint François d'Assise, d'après la cordelière des Franciscains. Anne en fit son Ordre personnel ; elle le féminisa et le décerna elle-même aux Dames et Demoiselles qui lui en paraissaient les plus dignes. Très convoité, l'insigne était un magnifique bijou : la plaque d'or assez large dite 'gorgery' se portait au cou, fermée d'une double lettre entrelacée et émaillée de rouge et de blanc, - chaque lettre entourée d'une cordelière tressée et émaillée de noir avec d'élégantes ciselures. La plaque personnelle de la Reine était faite de trente-deux doubles AA romains. La plus belle, après celle de la souveraine, composée de doubles SS et de doubles ZZ, avait été attribuée à Mademoiselle de Montsoreau.

 

D'autres détails sont à signaler pour parfaire cette identification. Dans la troisième tapisserie, deux colliers de chiens possèdent des fleurs de lys, les emblèmes royaux.

Dans la quatrième tapisserie, deux inscriptions sont importantes. Sur un fourreau, se lit la formule de salutation à la Vierge Marie, Reine des Cieux : "AVE REGINA C[OELORUM]". La référence à Anne apparaît évidente.

Sur le col du chien debout à la droite du même chasseur, se lit la formule de salutation au roi : "O F[R]ANC[ORUM] RE[X]".

Anne de Bretagne, par son prénom, est liée à la mère de Marie et à son petit-fils Jésus si l'on en croit la légende chrétienne. Anne est présente deux fois. Dans la cinquième tapisserie, dont seulement deux fragments ont survécu, Anne peut être identifiée avec la jeune fille/femme qui capture la licorne et dont il ne reste à contempler que ses doigts de la main droite et le manchon qui habille le bras ; le manchon est fait du même brocart que la robe portée par la dame du château dans la sixième tapisserie qui représente sans aucun doute Anne. On pourrait faire valoir que le veuvage d'Anne empêche son identification avec la jeune fille qui capture la licorne, mais ces considérations ne sont plus de mises à la fin du Moyen Age. A cette époque, comme à la Renaissance, la licorne est associée au mariage ainsi qu'à la virginité. Regardons cette association Anne de Bretagne/Vierge Marie comme une connotation flatteuse à l'égard de cette reine qui retrouve sa virginité après un premier mariage.

L'aura religieuse de sainte Vierge attribuée à Anne de Bretagne se fait encore plus précise par la présence du monogramme du Christ, "IHS ", sur le collier du chien situé devant le chasseur sonnant du cor dans le premier fragment de la cinquième tapisserie. Ce chasseur est-il l'archange Gabriel de l'Annonciation et de l'Incarnation du Christ ?

 

 

 

2.5. Qui est ce "dauphin" ? (de 13 ans environ)

 

Charles VIII meurt en 1498, sans enfant. Louis d'Orléans est déclaré roi de France le 8 avril 1498, sous le nom de Louis XII. Il meurt le 1er janvier 1515 sans fils pouvant lui succéder. Des sept enfants issus de son mariage avec Anne de Bretagne, seules survivront Claude de France (mariée à François d'Angoulême, le futur François 1er) et Renée qui deviendra duchesse de Ferrare.

 

Un fils né mais mort très jeune que l'artiste a cependant 'vieilli' pour conjurer le sort et donner l'espérance au couple royal d'autres naissances d'enfants mâles ?

Charles-Orland (fils de Charles VIII)

François (fils de Louis XII)

Le futur fils à naître de Charles VIII ou de Louis XII ?

La Chasse à la licorne aurait été tissée entre 1495 et 1505.

Son visage est-il celui d'un enfant ou d'un adolescent ?

Un neveu de Charlemagne, Orlando, s'étant conduit glorieusement dans la Calabre de François de Paule (cf. L’Arioste, Le Roland furieux), ce dernier souhaita que le dauphin nouveau-né s'appelât Orlando. Protestation des Beaujeu ! Orlando devint Charles-Orland ! Double prénom chargé de symboles : Charles comme son père et Charlemagne, premier empereur franc. Selon La prophétie de 1494 de Jean Michel, le dauphin Charles-Orland était destiné à succéder à son père comme empereur universel.

Beaune Colette, « Visionnaire ou politique ? Jean Michel, serviteur de Charles VIII », Journal des savants, 1987, n° 1-2, p. 65-78.https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1987_num_1_1_1502

Pour lui enseigner son catéchisme, Anne de Bretagne a commandé à Jean Poyer un Livre d’Heures dont la dernière enluminure représente le dauphin de trois ans adolescent, comme pour conjurer sa mort. Il prie à genoux devant le trône vide qui l’attend et sur lequel il ne montera jamais.

Jean Poyer, Livre d'heures d'Anne de Bretagne, 1492-1495
New York, The Morgan Library & Museum, ms. M 50, fol. 31.

https://www.themorgan.org/manuscript/77078
https://www.themorgan.org/collection/Anne-De-Bretagne

Il en est de même dans La Chasse. Si le jeune dauphin est François, cela permettrait de dater la tapisserie 6 de La Chasse à la licorne de 1503 pour le dessin du couple et de l'enfant. Considérer que l'enfant est Charles-Orland reviendrait à reconnaître dans le roi Charles VIII et à dater cette tapisserie aux alentours de 1495.

Cf. Marion Boudon-Machuel et Pascale Charron, Le tombeau des enfants de Charles VIII et d’Anne de Bretagne : https://tombeau-cathedrale-tours.univ-tours.fr/#Menu_d'accueil

Le laurier, le chêne et l'œillet de France

Le laurier, symbole du triomphe héroïque et de force éclatante signifiant que "l'or y est". Le chêne, symbole de majesté, de puissance, de sagesse et de longévité. L'œillet, considéré à la Cour comme la fleur de France (voir Mary qui défait sa couronne de reine de France dans la tapisserie L'Odorat de La Dame à la licorne).

 

Cette scène "enfant-chien" est sans doute un emprunt à un dessin de 1460-65 (Louvre, Cabinet des dessins) :
d'Henri de Vulcop (La Guerre de Troie) dont je pense que Jean Perréal aurait pu être l'élève
ou du Maître de Coëtivy pour un projet de tapisserie, La Mission d'Anténor en Grèce et le jugement de Pâris

Une partie du dessin a été remplacée par le fragment d'un autre dessin, peut-être du dessin INV 2143. Ce dessin appartient à une série de 8 (RF 2140 à RF 2147) représentant des épisodes de la Guerre de Troie. Ils sont considérés comme les petits patrons pour la tenture de 11 pièces offerte à Charles le Téméraire par la Ville et le Franc de Bruges, en 1472, à l'occasion de son mariage avec Marguerite d'York. Elles avaient été commandées à l'atelier de Pasquier Grenier à Tournai. F. Avril et N. Reynaud, Les Manuscrits à peintures en France 1440-1520, Paris, 1993, n°26, p. 64.

Cette image se retrouve page 161 du livre d'Eugène MÜNTZ, La Tapisserie (Picard et Kaan, Paris, vers 1890)
avec pour sous-titre : Priam au milieu de sa cour (Palais de Justice d'Issoire)
D'après les Anciennes Tapisseries historiées de M. Jubinal.

Une scène assez semblable.
détail de la tapisserie Le Départ de l'Enfant prodigue
Musée National du Moyen Age - Paris

Les maternités d'Anne de Bretagne :

Le 15 novembre 1491, Anne de Bretagne épouse Charles VIII. De son mariage avec Charles VIII, elle a porté 6 enfants :

Charles-Orland de France (10 octobre 1492 - 16 décembre 1495, de la rougeole).

Le dauphin Charles-Orland, 1494, Louvre

Peut-on attribuer ce portrait à Jean Perréal (plutôt qu'à Jean Hey ou Jean Bourdichon) si l'on suit les propos d'Yvonne Labande-Mailfert au sujet de la traversée de l'Italie par l'armée française pour une entrée de Charles VIII dans Naples le 22 février 1495 ? « Le roi n’oublie pas sa famille. Il écrit assez souvent à son beau-frère le duc de Bourbon. Il pense à son fils, pour lequel il a conquis ce royaume et dont il reçoit fréquemment des nouvelles, car une poste spéciale a été établie avec Amboise. Pour une maladie de l’enfant " il n’a jamais été de bonne humeur qu’il ne l’ait su guéri ". Guillaume de Boisy le rassurera bientôt. En mai le portrait de Charles-Orland lui sera apporté par Jean de Paris. » (Y. Labande-Mailfert, Charles VIII, Fayard, 1986, p. 308)

— elle perd un enfant mâle à deux mois de son terme en août 1493
— elle accouche, au printemps 1495, d'une fille mort née.
— Charles de France (8 septembre 1496 - 2 octobre 1496)
— François de France (1497)
— Anne (20 mars 1498) qui meurt quelques heures après
Lorsque le roi décède le 7 avril 1498, tous les enfants qu'Anne de Bretagne (qui a 21 ans) a mis au monde sont morts.

Tombeau des enfants d'Anne de Bretagne et de Charles VIII
Girolamo Paciarotto, dit Jérôme Pacherot et atelier de Michel Colombe
Marbre de Carrare - cathédrale Saint-Gatien - Tours

Des 7 enfants issus de son mariage avec Louis XII, seules survécurent Claude et Renée :
Claude de France (15 octobre 1499)
— en 1500, la reine donne naissance à un fils mort-né.
— un garçon, François, naît le 21 janvier 1503 mais meurt aussitôt.
— une fausse-couche en janvier 1508
— une autre mal située entre 1505 et 1509
Renée de France (20 octobre 1510)

Jean Clouet - Renée de France - musée Condé - Chantilly

— le 21 janvier 1512, elle accouche d'un garçon qui ne vit que quelques jours


" La légitimité du dauphin Charles-Orland né le 10 octobre 1492 était contestée dans les cours d'Autriche, d'Angleterre et d'Espagne, où l'on parlait de bigamie, de rapt ou pour le moins d'empêchement de consanguinité que la dispense pontificale donnée trop tardivement n'avait pas écarté. Voilà pourquoi, le jour de ses relevailles, la reine accepta de se plier à une procédure de " purgation canonique " ; elle produisit la bulle de dispense datée du 15 décembre 1491 et déclara solennellement qu'elle n'avait été ni enlevée ni séduite. Un acte en fut dressé le 13 novembre ; il requérait des témoins. Ce furent pour le roi Jacques de Miolans, Etienne de Vesc et Guillaume Briçonnet, mais pour la reine, le même Guillaume Briçonnet plus Jacques de Beaune, son trésorier particulier, Olivier Laurens, son médecin et Guillaume Guéguen. "
Bernard Chevalier, Guillaume Briçonnet, Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 175

" En Italie, à partir de 1490 surtout, les princes aimaient pouvoir prendre conseil de prophétesses, qui sont des " saintes vivantes ", religieuses cloîtrées favorisées de visions ou même de stigmatisées. En France, cette fonction était assumée par François de Paule qui était resté au Plessis après la mort de Louis XI pour continuer sa mission de pacificateur et d'intermédiaire entre le Saint-Siège et un royaume de France jugé trop gallican. Il était pour le jeune roi Charles un protecteur et un père spirituel qui lui indiquait où était la volonté de Dieu, qu'il s'agisse de la restitution du Roussillon, de la paix en Bretagne, de la réforme de l'Eglise ou du combat contre les Turcs dont il avait ressenti en Calabre l'urgente nécessité. N'était-ce pas lui du reste qui, en octobre 1492, avait fait donner au dauphin le nom stupéfiant de Charles-Orland combinant le souvenir de Charlemagne et celui de Roland, le paladin italianisé, héros de la guerre contre les Sarrasins ? " p. 185

 

 

Dans des œuvres peintes où Anne de Bretagne apparaît, les tailles des adultes et des enfants ne tiennent pas compte de la "réalité". Les preuves seront les images suivantes pour la plupart extraites du livre de Didier Le Fur, Anne de Bretagne (éditions Guénégaud, 2000) où les artistes présentent le fils d'Anne de Bretagne et de Louis XII, François, mort à l'âge de 2 mois, avec une taille d'enfant.

 

 

Anne de Bretagne et Louis XII sont assis devant une cheminée. A leur droite : Claude (de taille anormalement grande : née le 13 octobre 1499, elle n'a pas encore 3 ans et demi en 1503) et François représenté sous les traits d'un enfant de 3 à 5 ans environ !

Miniature de Jean Bourdichon ?
Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts.

 

 

Il s'agit ici encore de célébrer la naissance d'un fils, l'héritier mâle tant espéré.
L'artiste a représenté un bébé sous les traits d'un enfant de 5 à 7 ans environ. Pourtant, le livre a été offert à Anne de Bretagne après la mort de son fils.

Miniature extraite du livre le jeu des échecz moralisés de Jacques Cessoles, traduit par Jean de Vignay, édité par Antoine Vérard
B.N. Vélins 1018, fol. 1v.

 

 

 

Anne de Bretagne fait ses adieux à son fils François, né le 21 janvier 1503 et mort un mois plus tard, en février. Le berceau de feuillage que lui présente deux jeunes filles en haut à droite de l'image le mènera vers le Paradis.

L'enfant représenté est trop âgé pour un bébé !

Miniature de Philippe de Gueldre, extraite de 'Du passe Temps de tout Homme et de toute Femme' de Guillaume Alexis, édité par Antoine Vérard au début de l'année 1503.
B.N. Vélins 2249, fol.1

 

Les différents personnages de gauche (Anne de Bretagne, sa fille Claude âgée de 4 ans, ses dames d'honneur, deux enfants) ont des tailles peu conformes à la réalité.

(L'artiste a représenté le roi debout devant Raison assise qui lui montre de la main droite sa fille Claude sur les genoux d'Anne et semble lui demander de se faire une raison. A ses pieds, dans le tableau : les images de Foi et Espérance)

Miniature illustrant une édition des Remèdes de l'une et l'autre fortune de Pétrarque, parue à Rouen en 1503 (BnF, 225, fol. 165),

 

Anne de Bretagne est représentée en prière ; derrière elle, sainte Anne portant Marie tenant Jésus.

Les tailles de Marie et de Jésus ne tiennent pas compte de la réalité.

Musée du Louvre

 

Image commémorant la création de l'Ordre de la Cordelière
extraite d'une histoire de la Toison d'Or de Guillaume Fillastre - B.N. ms. fr. 138, folio V

Même attitude debout droite ; même cape noire pour coiffe ; même robe brune et or ; même ruban pour serrer la taille ; même rosaire à grosses boules d'or.

 

Le "caractère" d'Anne de Bretagne

En 1492, l'ambassadeur vénitien Zaccaria Contarini décrit la jeune Anne de Bretagne ainsi : " La reine a 17 ans, elle est petite de taille, fluette et elle boite visiblement d'une jambe bien qu'elle porte des chaussures à haut talon pour cacher sa difformité. Elle a le teint foncé et elle est assez jolie. Sa finesse d'esprit est remarquable pour son âge et une fois qu'elle a décidé de faire quelque chose, elle s'efforce d'y parvenir à n'importe quel moyen et à n'importe quel prix. " En vieillissant, si ses traits physiques n'ont pas évolué, sa personnalité s'est affirmée.

P. Lacroix écrit (Louis XII et Anne de Bretagne, Chronique de France, 1822) que la religiosité d'Anne de Bretagne était teinte de superstition comme ses contemporains. Elle croyait en un Dieu vengeur et coléreux, juge qui conmptabilise les bonnes et mauvaises actions. "Elle était préoccupée de cette triste idée que l'excommunication fulminée par le pape contre le roi l'empêcherait d'avoir un fils."

De Roy note (Histoire d'Anne de Bretagne, reine de France, éd. Mame, 1877) : "Depuis ses dernières couches (octobre 1510), sa santé ne s'était pas rétablie et elle croyait que c'était elle qui était punie ainsi des offenses faites par son mari au Saint Siège."

Georges Minois (Anne de Bretagne, Fayard, 1999 - pages 422sq) la juge " femme autoritaire, dure, rancunière et sans humour " ; " Elle affirme son rang avec hauteur, face à Anne de Beaujeu comme face à Louise de Savoie. " Il écrit aussi : " Hautaine, cassante, antipathique, Anne est d'un abord rébarbatif, même si elle sait se montrer agréable. " " La reine n'est certainement pas gracieuse. Pas le moindre sourire sur ce visage austère, un peu crispé dans une dignité défensive. "
" La compagnie d'Anne ne devait donc pas être drôle tous les jours. Et cela d'autant moins que la dame est fort bigote, superstitieuse et crédule. Sa piété ne s'élève guère au-dessus du niveau de celle des simples fidèles de son époque, et se mêle aux croyances les plus superstitieuses. Elle a avec elle un coffret plein d'amulettes - un morceau de cire noire dans une bourse de drap d'or, six langues de serpent, un écu de Guyenne dans du papier, un chapelet de jaspe - dont elle se sert pour protéger ses enfants. Elle fait confiance aux astrologues, comme tous les grands de son époque. L'un des écrivains de son entourage, qui devient son historiographe, Jean Lemaire de Belges, compose en 1511 un Traité des schismes et des conciles de l'Eglise. Il y explique le conflit entre le roi et le pape par l'astrologie et annonce un schisme et la venue de l'Antéchrist : " Ceci désigne et prenosticque le futur très grand XXIIIIè scisme en l'Eglise catholique et universelle, dont les vaticinations des prophètes et sibilles et les prenosticques d'as trologie ont tant parlé. "
La vénération d'Anne pour François de Paule tourne elle aussi à la superstition…
Son action en faveur de la croisade s'explique en grande partie par le climat apocalyptique dans lequel vit une partie de son entourage, surtout sous Charles VIII. "

Et Philippe Tourault (Anne de Bretagne, Perrin, 1990) note p.289 : " Ce que l'on remarque tout de suite c'est son air glacial et hautain, qui met mal à l'aise courtisans et quémandeurs. En cela, son aspect extérieur a peu changé : d'altière et fière au temps de Charles VIII, elle est devenue plus figée, plus hiératique ; naturellement, et pour impressionner. "

Ce portrait moral me paraît se retrouver sur le visage et l'attitude de la Reine de La Chasse. Le visage allongé, s'il n'est pas ressemblant à celui que nous connaissons d'Anne de Bretagne, rappelle celui qu'un artiste (Georges Bordonove pense à Jean Perréal) lui a donné sur son lit de mort.

 

 

 

2.6. D'autres souverains


Les différentes tapisseries se devaient de rappeler les souverains importants de la royauté française. Ainsi, peut-être, sont portraiturés Pharamond et Clovis (le chasseur au doigt levé de la seconde tapisserie qui énonce la loi), Louis IX (portant la Croix qu'il a acquise en 1241), Louis XI (son ceinturon porte onze boutons et sa jeune âme peut-être représentée par l'oiseau au-dessus de sa tête), Charles d'Orléans le père de Louis XII (la tête inclinée comme dans un portrait de lui conservé ans une tapisserie du Musée des Arts Décoratifs à Paris). Et les années passant, François 1er dans une tapisserie rapportée, la première de la tenture actuelle, qui amorce la thématique christique.

tapisserie 1 : François 1er

James Rorimer rapporte que Paul Sachs, de l'Université de Harvard lui a suggéré que le jeune homme au centre de la première tapisserie ressemblait à François 1er. Il porte les couleurs royales de France, rouge, blanc, et bleu (ses chausses sont blanches au-dessous du genou et rayées bleu et blanc au-dessus), et les deux hommes qui l'accompagnent portent les couleurs rouge, ocre (jaune), et bleu. Peut-être pourrait-on reconnaître qui sont ces nobles, à leurs visages si scrupuleusement dessinés qu'ils paraissent de vrais portraits ou aux couleurs de leurs vêtements, de leurs plumes.

détail sur le front du roi central

James Rorimer pense que cette première tapisserie a pu être offerte par François 1er à son parrain, François de La Rochefoucauld. Les lettres F-R peuvent signifier : François de La Rochefoucauld ou Franciscus Rex. Selon le même critique, les tapisseries 1 et 7, plus tardives, ont été ajoutées à la tenture quand François 1er a épousé Claude de France.

 

tapisserie 2 : Pharamond ou Clovis ?

 

tapisserie 3 : Louis XI porte-t-il le collier de l'ordre de Saint-Michel, comme Louis XII ?

 

tapisserie 4 : Charles d'Orléans (Musée des Arts Décoratifs)

 

tapisserie 6 : Louis IX dit Saint Louis


Qui lui a prêté ses traits ?
Il porte deux croix : sur son épaule gauche et son épée verticale

 

La présence de Saint Louis (Louis IX) dans cette tapisserie est un argument supplémentaire pour reconnaître Louis XII dans le roi qui accueille la licorne et le pèlerin. Saint Louis est canonisé en 1297 et dès lors son culte se développe en France. Sa gestuelle et ses attributs deviennent ceux de la plupart des rois de France. Une tradition très ancienne veut que le roi régnant soit représenté sous l'apparence de Saint Louis. Ainsi, en vénérant le saint patron de la monarchie, on rend hommage à ses successeurs. La figure de Saint Louis connaît une regain certain après l'avènement de Louis XII comme en témoignent :


— le frontispice d'un manuscrit de la BnF qui représente l'intronisation de Louis XII par Saint Louis (BnF, fr. 5869, fol. A), Louis XII est agenouillé sur un prie-dieu. A droite : saint Denis présente un phylactère (en lettres noires sur fond blanc) à la Vierge couronnée et auréolée : " Domina suscipe servum tuum ". Saint Louis intercède auprès de la Vierge et de l'Enfant (en lettres d'or) : " Mater Francie, protege heredem meum ". Marie répond au roi : " Fili, precem tuam exaudivi " qui remercie : " Sola virgo mater, tibi gratias refero ".

— une miniature dans un second manuscrit du même texte (BnF, fr. 5870, fol. 1). Saint Louis couronné et auréolé intronise le roi devant Dieu. Il touche le jeune Louis XII de l'épaule et tient un globe terrestre surmonté d'une croix. La Vierge, à gauche est " la chambellane du Paradis ". Louis récite : " Salve regina, mater misericordiae " sur une partition présentée par deux anges.

— une miniature dans un troisième manuscrit du même texte (Oxford, Bodleian Library, ms Douce 92, fol. 4). Saint Denis a disparu. Louis XII prie agenouillé devant un prie-dieu en présence de ses sujets et du cardinal d'Amboise.

Saint Denis et Charlemagne (patron de Charles VIII), présents aux époques précédentes, disparaissent peu à peu après 1498, sauf sur un portrait attribué à Jean Perréal où Charlemagne pose la main sur l'épaule de Louis XII (Madrid, Biblioteca nacional, ms. vitr. 24.1, fol. 1), portrait remplaçant celui de Charles VIII après sa mort inattendue et accidentelle ;

et une miniature de Jean Bourdichon où Louis XII toujours en prière est accompagné de Saint Michel, Charlemagne, Saint Louis et Saint Denis (Heures de Louis XII, Tours, 1498/99, The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, 2004.1 ms. 79 a). Ce livre de prière est emporté à Londres par Mary Tudor après la mort de Louis XII.
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jean_Bourdichon_(French_-_Louis_XII_of_France_Kneeling_in_Prayer_-_Google_Art_Project.jpg

La geste de Saint Louis est contée dans deux ouvrages édités sous Louis XII : La saincte vie et les haultz faictz, dignes de memoire, de monseigneur saint Loys, roy de France, un miracle de Pierre Gringore et Les Louenges du roy Louys XIIe de ce nom de Claude de Seyssel publiées en 1508 chez Antoine Vérard.

Pierre Gringore souligne la sainteté de Louis IX car elle est en concordance avec la lutte menée par Louis XII contre le pape :
Chevallerie :Le bon Roy trespasse et périt / En ceste vie transsitoire.
L'Église : Ne doubtez que son ame en gloire. (p. 326)
L'Église : Il est trespassé ; Son esprit à Dieu a laissé / A l'heure que le doulx Jhesus / Souffrit mort. (p. 328)
Claude de Seyssel tout en axant son portrait de Louis IX sur le guerrier plutôt que sur le saint, montre que cette face de la médaille royale a coûté cher au royaume en soldats morts au cours des guerres contre les Anglais et dans les Croisades et en argent quand il a fallu payer sa rançon de 400 000 livres. Ainsi les deux auteurs mettent en valeur deux facettes de Louis IX afin de camper un portrait double de Louis XII : le guerrier aimé des dieux et le saint aimé de Dieu.


Cet homme désigne le roi de son index droit et établit ainsi une relation claire pour le spectateur entre Louis XII et Saint Louis, transmettant au roi régnant les vertus et les qualités du roi saint.

Pour célébrer l'entrée de François Ier à Lyon le 12 juillet 1515, le spectacle monté à l'hôtellerie du Griffon s'intitule " le baptême de Clovis. " (Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Cod. Guelf. 86.4 Extrav., p. 22. Empfang König Franz' I. in Lyon.)

" Au cours des XIVe et XVe siècles, saint Clovis était devenu le type idéal du roi de France, alliant en sa personne l'héroïsme chevaleresque et les vertus chrétiennes, réalisant, avec l'aide divine qui le soutenait de nombreux miracles, le dessein de Dieu sur la France, luttant contre les païens et les hérétiques en accord avec l'Eglise, faisant régner dans son royaume la justice et la paix. " (Anne-Marie Lecoq, François Ier imaginaire, Paris, 1987, p. 201.)


La Légende de la Vraie Croix de Piero della Francesca : un cycle de fresques situé dans le chœur de la chapelle Bacci de la basilique Saint-François d'Arezzo.
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_L%C3%A9gende_de_la_Vraie_Croix

Agnolo Gaddi, La Légende de la Croix, huit panneaux de fresques de l'autel de la Basilique Santa Croce de Florence, à partir de 1380.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Agnolo_Gaddi

 

2.7. Le pèlerin


L'importance que je donne à ce " pèlerin " veut souligner la haute place prise dans l'imaginaire chrétien du Moyen Age et de la Renaissance par saint Jacques, dit Jacques de Zébédée ou Jacques le Majeur, et par le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, cité de Galice où son corps aurait été translaté après son martyr à Jérusalem.

Le chasseur qui le représente parmi les apôtres dans la seconde tapisserie de La Chasse à la licorne porte son épieu sur l'épaule identifiable au bâton du jacquet en route vers Saint-Jacques-de-Compostelle et sa main droite touche la fontaine au niveau d'une tête de lion sculptée sur la fontaine évoquant la coquille Saint-Jacques. Des fontaines, d'où naissent parfois des ruisseaux, sont élevées à l'invocation du saint, protecteur des eaux. La marche vers l'ouest est assimilée à une marche vers la mort que suit une renaissance dont la coquille est le symbole.

Notre " pèlerin " suit un cours d'eau qui peut rappeler la Loire au bord de laquelle résident les rois et dont une grande partie du cours est alors placée sous la protection du saint. Il arrive devant le couple royal, après un long "cheminement", en même temps que la licorne morte. Selon la légende, saint Jacques est reconnu comme passeur des âmes, Charlemagne lui devrait sa place au Paradis, et il tient du Christ un pouvoir de résurrection, ce qui le rapproche du dieu Hermès, dieu des voyageurs : le chemin de Compostelle promet le Paradis au pèlerin.


La dynastie royale fran çaise voue à ce saint une grande piété et l'honore à de très nombreuses reprises.

— En 1372, Charles V constitue une rente pour que six messes quotidiennes soient célébrées et des cierges allumés dans une chapelle de la cathédrale de Compostelle nommée dès lors " chapelle des rois de France ".

— Ce sont aussi les désirs de pèlerinage non accomplis d'Alphonse de Poitiers, frère de Louis IX, de Blanche de Castille, sa mère, et de Louis XI.

— des pèlerinages par jacquets délégués dans des buts de dévotion et de diplomatie.

— des voyages personnels comme celui de Louis VII d'octobre 1154 à janvier 1155, seul roi à se rendre à Compostelle, de Marie d'Anjou, la mère de Louis XI, en 1463, qui, officiellement, va s'assurer que le vœu des rois de France d'entretenir les cierges allumés dans la chapelle des rois de France était exécuté. Avait-elle un autre but ? Un but diplomatique ? La malheureuse, partie en novembre a dû prendre froid car elle mourut au retour, près de Parthenay. Trois ans plus tard, en 1466, c'est la tante du roi qui part à Compostelle, Marguerite de Savoie, comtesse de Wurtenberg.

— de magnifiques dons comme ceux de Louis XI : une forteresse en argent en 1447, des sommes importantes en 1456 et 1461 et la fonte de trois grosses cloches offertes à la cathédrale en 1483 ; don encore de Marie de Clèves, la mère de Louis XII, qui en 1470, après la mort de son époux Charles d'Orléans, délègue un pèlerin chargé d'offrir en ex-voto un cœur d'or enrichi d'un saphir, d'un rubis et d'une émeraude. Ce cœur suspendu par une chaîne d'or, supportait à son extrémité inférieure un petit écusson émaillé sur deux faces, aux armes ducales. (BNF, ms. lat. 17059, pièce n° 182) Peu après 1457, un frère prêcheur de Bois, Jean Beauson, pèlerine pour elle. En 1481, Esteban de Buduys est chargé d'une forte somme d'argent " destinée aux trois messes quotidiennes chantées à la chapelle des rois de France, et en 1483, deux autres bourgeois accompagnent l'envoyé de Louis XI pour organiser la fonte des cloches qu'il offre à la cathédrale. " (Denise Péricard-Méa, op. cit., p. 218)

— Le 9 février 1942, lors de l'entrée dans Paris de la reine Anne de Bretagne, les confrères de saint Jacques présentent un tableau vivant : un comédien jouant Charlemagne sur un cheval accueille la reine :

" Après ces choses faictes en telle manière, derrière lad. porte aux paintres emprès Saint-Jacques de l'Ospital avoir ung personnage représentant le roy Charlemaine monté sur ung grand ceval, lequel pouvoit bien avoir de haulteur environ 15 pieds et gros à l'avenant de sa haulteur, couvert de couvertures escartelées la moictié des armes du roy et l'aultre moictié de hermines. Et la représentation du dit Charlemaine povoit avoir environ une lance de haulteur, assez membru et fourny selonc sa haulteur, tenant en sa main destre une épée nue, grande et large selonc la grandeur dud. personnage et en l'aultre main la pomme ronde â la croix dessus. Led. personnage couronné en estat réal et sur le hault de sa couronne une croix d'or signefiant que en son temps il submist et mist en son obéissance la plus grande partie du monde. Ainsy estoit ced. roy monté sur ce cheval couvert de bougheran parsemé de fleur de lis, lequel salua lad. royne en luy faisant une belle arragne (harangue) à sa joyeuse venue, Et en cest estat chemina devant la noble dame depuis la porte aux paintres jusques â Nostre-Dame de Paris, ayant Jacquets devant et derrière, habillés de meisme conduisant luy et son cheval. Et derrière luy estoient aultres gens menans après eux les uns ung oliphant et les aultres chamel, yceulx f.aints et couvers de couvertures jointes au plus près de la pel que doivent telles bestes porter. Lesquelles bestes estoient en ce point menées par grosses kaines tissées et dorées dont les mailles estoient rondes et grandes .. "

(Jean Nicolai, Couronnement entrée de la royne de France en la ville de Paris… BnF, ms. fr. 24052, éd. anonyme Bulletin de la Société de l'histoire de France, t. X, 1845-1846, p. 117-118.)

Pour Denise Péricard-Méa, cette " fiction " désire rappeler à Anne de Bretagne qu'elle " entre dans la lignée prestigieuse des rois de France descendants de l'empereur ".

" Rien dans le choix du sujet n'a été laissé au hasard. Les confrères honorent la reine en lui rappelant le lien privilégié qu'ils entretiennent avec elle par l'intermédiaire de Charlemagne, elle qui entre dans la lignée prestigieuse des rois de Rance descendants de l'empereur. Le personnage à cheval représenté conformément aux descriptions d'Eginhard n'est pas un personnage statique puisqu'il prend la parole. Les confrères montrent ainsi à la reine combien ils entretiennent la mémoire de celui qui fut le premier pèlerin de Compostelle. La représentation se prolonge au-delà de la porte de l'hôpital puisque Charlemagne, entouré de ses pèlerins-confrères, ouvre le chemin à la reine, comme si les grands bourgeois de Paris remettaient en son nom les clefs de la ville à la nouvelle reine. Au-delà de la fiction les bourgeois marquent leur puissance en s'affichant comme les égaux des nobles compagnons de Charlemagne. " (p. 149)

(Denise Péricard-Méa, Compostelle et cultes de saint Jacques au Moyen Âge, Paris, 2000, p. 148-149 et 208. Et Denise Péricard-Méa et Louis Mollaret, Dictionnaire de saint Jacques et Compostelle, Paris, 2006.)

— A Arras en 1516, lors de la visite de Charles Quint, les confrères de Saint-Jacques construisent " un beau hourt... où estoit la prise de Grenade en plusieurs chapitres ", nouvelle assimilation à la chevalerie, comme si les confrères avaient participé en personne à cette conquête.

Si Charlemagne est un pèlerin mythique – quoiqu'en dise la légende narrée par la chronique dite de Turpin puis Pseudo-Turpin, écrite vers 1119 et non au IXe siècle par l'archevêque de Reims, selon laquelle Charlemagne, Roland et des chevaliers français partent au nom de saint Jacques délivrer l'Espagne –, il " a réellement lancé d'authentiques pèlerins sur le chemin de Compostelle. Les lignages nobles du XVe siècle savent ainsi qu'ils sont les descendants des compagnons de Charlemagne. " (p. 208)

Dans le cadre d'une "lecture" alchimique féconde de cette tenture, il faudrait citer le nom du philosophe catalan, théologien et missionnaire franciscain, Raymond Lulle qui écrit dans sa Vie être allé à Compostelle et à qui furent attribués dès 1370 de nombreux ouvrages alchimiques, et celui de Nicolas Flamel - 1330-1418 - qui prétend s'y être rendu et en être revenu avec le secret de la transmutation des métaux en or.

 

 

L'Épître de Jacques
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89p%C3%AEtre_de_Jacques
traduction en français par Louis Segond - 1910.
http://www.info-bible.org/lsg/59.Jacques.html
traduction en français par le chanoine Crampon.
http://bible.catholique.org/epitre-de-saint-jacques/3463-chapitre-1

Liber Sancti Jacobi ou Livre de Saint Jacques, les textes réunis dans le manuscrit appelé Codex Calixtinus qui était conservé à la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle
Livre I, Anthologie des pièces liturgiques
Livre II, De miraculis sancti Jacobi
Livre III, le Livre de la Translation
Livre IV, L'Historia Karoli Magni et Rotholandi
Livre V, Le Guide du Pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle
http://fr.wikipedia.org/wiki/Codex_Calixtinus

Actes et mort du saint apôtre Jacques, frère du saint apôtre et évangéliste Jean le Théologien.Un texte apocryphe relatif à Jacques le Majeur.

Janine Michel, Une histoire de Charlemagne et de Roland, racontée par un ensemble de fragments de tapisseries du XVe siècle.

 

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La licorne, agenouillée devant le cerf, en signe de révérence ? de soumission ?
Le cerf, assis, dans une pose détendue et fière.
Deux "animaux " face à face qui se saluent et se respectent.

 

Combien d'andouillers, de pointes et d'épois au total aux bois du cerf ?
bois de droite (cerf de 6 ans) : 8 : Charles VIII ? (1470-1498)
bois de gauche (cerf de 5 ans) : 7 : Charles VII ? (1403-1461)

Y lire les règnes des rois ?
1364-1380 : Charles V (cerf de 5 ans)
1380-1422 : Charles VI (cerf de 6 ans)
1422-1461 : Charles VII
1461-1483 : Louis XI (5 + 6 = 11)
1483-1498 : Charles VIII
1498-1515 : Louis XII

 

tapisserie 7 : le Christ, roi des Cieux

L'ultime licorne se tient dans la même position que le cerf :
le cycle se referme…

James Rorimer, "The Unicorn tapestries were made for Anne of Brittany". Dans The Metropolitan Museum of Art Bulletin, Summer 1942, New York.

James Rorimer, The Unicorn Tapestries at the Cloisters, a Picture Book, New York, Metropolitan Museum of Art, 1946.

https://libmma.contentdm.oclc.org/digital/collection/p15324coll10/id/125473/

 

 

3. Le couple au second plan, sous l'arche

 

3.1. Anne de France

" Rien d'irréversible ni d'irrémédiable ne fut entrepris du vivant de la fille de Louis XI. " Pierre Pradel

Comment l'artiste pouvait-il représenter Anne de France (de Beaujeu, de Bourbon) dans une des tapisseries de La Chasse ? Quels exemples iconographiques avait-il en sa mémoire, dans ses carnets, sous ses yeux ?

Il lui fallait peut-être "passer" par sainte Anne, la grand-mère de Jésus et s'inspirer des événements de sa vie :
— Anne est représentée à la Porte Dorée recevant le baiser de son futur époux Joachim
http://fr.wikipedia.org/wiki/Porte_dor%C3%A9e

— Anne est représentée avec sa fille Marie et son petit-fils Jésus (scène appelée Sainte Famille et la grand-mère prend alors le nom de sainte Anne trinitaire)
— elle est la sainte patronne des menuisiers et des ébénistes (car son corps a contenu celui de Marie qui a conçu Jésus ; elle serait le tabernacle du tabernacle qui reçut le Messie, comme le tabernacle des églises construit de bois abrite les hosties consacrées, symbole du corps du Christ).

Quelle représentation conserver ? Le baiser, bien sûr, par quoi tout commença ! Et qui pour André Grabar (Les voies de la création en iconographie chrétienne, Flammarion, 1979, pp. 119-120) est une scène d'accouplement et de procréation :


" Nous trouvons dans des illustrations du Livre des Rois des images qui résument schématiquement la carrière d'un prince. La première montre son père et sa mère s'approchant l'un de l'autre et s'enlaçant tout en restant debout ; la seconde, la naissance du prince. On retrouve la même séquence dans les cycles de l'enfance de Marie : sa naissance est précédée de la fameuse rencontre à la Porte d'Or de Jérusalem, où Joachim et Anne s'embrassent, comme sur la fresque de Giotto à Padoue. Dans les deux cycles, profane et mariologique, la scène est appelée l'accolade ; et dans l'histoire des parents de la Vierge, elle passe pour le moment de l'Immaculée Conception. On en conclut naturellement que dans les biographies illustrées des rois judaïques, l'accolade est aussi un symbole de la conception. Il était important pour l'illustrateur d'évoquer non seulement la naissance, mais aussi la conception, quand il s'agissait d'un roi.
Si telle étaient l'importance et le sens de l'accolade avant la naissance, ne devrait-on pas inclure parmi les images symboliques de la conception de Marie la scène de l'accolade qui, dès les plus anciens cycles évangéliques, fut représentée avant la nativité, et qui en grec porte le même nom, l'accolade ? Les ampoules de Palestine en présentent des exemples caractéristiques. En français et en anglais, la scène est appelée la visitation et elle est interprétée comme une certaine rencontre de Marie et d'Elisabeth : les deux femmes étant enceintes, Elisabeth se rend auprès de Marie, et elle est la première sur terre à proclamer la divinité de l'enfant porté par Marie. Une mosaïque du VIe siècle, à Parenzo en Istrie (maintenant Porec en Yougoslavie), nous en fournit un remarquable exemple ancien, qui très visiblement cherche à rendre évidente la grossesse de Marie. Cet épisode évangélique n'a pas été l'objet d'un culte liturgique particulier : il n'y avait pas de fête de la visitation. Elle figure cependant dans tous les cycles d'images évangéliques anciens, même quand ils sont limités à un très petit nombre de scènes. L'abside de Parenzo ne comporte que deux images : l'Annonciation et la Visitation.
Les premiers chrétiens durent donc avoir de bonnes raisons pour donner tant d'importance à la scène de la visitation. On pourrait formuler l'hypothèse suivante : les imagiers chrétiens de la Basse Antiquité étaient habitués aux cycles biographiques, où, avant la scène de la naissance, figurait l'accolade des parents comme référence symbolique à la conception. Selon moi, la familiarité qu'avaient les artistes avec cette image les a prédisposés à représenter une accolade avant la naissance du Christ. La rencontre de Marie et Elisabeth leur en a fourni l'occasion, les paroles d'Elisabeth sur l'Enfant non encore né de Marie leur permettant de considérer l'épisode comme un témoignage de la conception de la Vierge. Mais comme, selon les Evangiles, c'est l'annonciation qui est le moment effectif de la conception, ils situèrent l'annonciation et la visitation côte à côte, comme des images parallèles du même thème, le second étant ajouté, conformément à la tradition iconographique courante, pour montrer le premier témoin de la conception du Christ. Si l'on acceptait cette interprétation d'une parenté entre les deux scènes, nous aurions ici encore un intéressant exemple d'une adaptation chrétienne d'un motif plus ancien. Dans les mains des imagiers chrétiens, il acquiert même la valeur d'un rappel direct d'un dogme. "

 

Voici quelques " baisers " à la Porte Dorée :


Icône byzantine

 


Giotto - vers 1303
fresque de la chapelle des Scrovegni - Padoue

Le Maître de Moulins, vers 1500

Charlemagne et la rencontre de sainte Anne et saint Joachim à la Porte Dorée

 National Gallery - Londres

Premier panneau du polyptyque La Vie de la Vierge (en six panneaux)
attribué aux peintres enlumineurs Jean de Montluçon et son fils Jacquelin
actifs à Bourges entre 1461 et 1505
fin 15e - début 16è. s - église Notre-Dame - Montluçon

Manifestement, l'imagier suit les Evangiles apocryphes
qui veulent que le baiser soit l'élément fécondant
dans la conception " sans tache " de Marie,
selon la volonté de Dieu, en haut à droite !

L'histoire est inspirée du proto-évangile de Jacques et de la Légende dorée (Legenda aurea) de Jacques de Voragine.

Joachim et Anne, après vingt ans de mariage, n'avaient toujours pas d'enfant. Un jour, Joachim présente ses offrandes devant l'autel de Yahvé à Jérusalem. Il demande l'enfant espéré, mais le prêtre le chasse du temple avec indignation : cet homme infécond a sur lui le signe de la malédiction. Joachim se réfugie auprès de bergers, dans le désert. Un ange lui apparaît et lui annonce que son épouse va mettre au monde un enfant qu'ils devront appeler Marie. L'ange prévient aussi Anne. Joachim rentre à Jérusalem : les peintures ci-dessus illustre le moment de leur rencontre. Anne est " miraculeusement " enceinte de Marie. Ils s'aiment, ils s'embrassent.

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La reine n'était pas que l'épouse du roi. Elle était avant tout la procréatrice du futur roi. Les reines et les princesses n'étaient élevées dignement et épousées que dans l'unique but de procréer dignement l'héritier mâle qui devait succéder au roi sur le trône. D'où le " harcèlement procréateur " (Bartolomé Bennassar
, Le Lit, le Pouvoir et la Mort, Reines et Princesses d'Europe de la Renaissance aux Lumières), l'insistance névrotique, tyrannique, inhumaine, de certains souverains à accumuler les grossesses de leur épouse. " On exagérerait à peine en affirmant que, parmi les femmes des siècles passés, reines et princesses comptèrent souvent parmi les victimes les plus pitoyables. "

De même, on peut supposer que le dessein du Dieu chrétien était de " faire " d'Anne et de Marie les procréatrices du Messie-Roi tant attendu ! Anne engendre et élève Marie pour que naisse, sans qu'elle le sache encore, Jésus.

Ce que la tapisserie 6 évoque en un double " mouvement " analogique. En " jouant " sur le prénom commun aux deux généalogies, l'une légendaire, l'autre historique : Anne.

Devant : le couple royal régnant. A côté gauche : le dauphin (mort ? à naître !). Derrière : des princesses prêtes à régner ou ayant été régentes : Suzanne, Louise de Savoie (et son " César "-François qui attend son heure ?), Anne de France et Pierre de Bourbon.

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Anne de France a élevé :

— son jeune frère Charles à la mort de leur père Louis XI : il avait alors 13 ans.

— Louise de Savoie : née en 1476, fille de Philippe, duc de Savoie, dit "sans Terre" et de Marguerite de Bourbon. En 1483, à la mort de sa mère, avec son petit frère Philibert, elle est confiée, à l'âge de 7 ans, à sa tante, Anne de Beaujeu. En 1490, à 14 ans, elle épouse Charles d'Orléans, comte d'Angoulême, dont elle a deux enfants : Marguerite d'Angoulême (grand-mère d'Henri IV) et François Ier.

— Marguerite d'Autriche : née en 1480, conduite à Amboise en 1483, à l'âge de 3 ans, fiancée promise au dauphin de 10 ans son aîné, le futur Charles VIII. Mais en 1491, pour des raisons politiques, il la renvoie avec sa dot à son père et épouse Anne de Bretagne. Marguerite appelait Anne de France " ma bonne tante " car Anne était en effet sa grand-tante par alliance.

— Sa propre fille Suzanne : née en 1491.

— Diane de Poitiers : née en 1499 ou en 1500, fille unique de Jean de Poitiers, vicomte d'Estoile, seigneur de Saint-Vallier, et de Jeanne de Batarnay. Orpheline de mère à six ans, elle passa ses jeunes années auprès d'Anne de Beaujeu. Elle fut la favorite du roi de France Henri II pendant plus de 20 ans. En 1515, âgée d'à peine quinze ans, elle épouse Louis de Brézé, son aîné de près de 40 ans, petit-fils de Charles VII et d'Agnès Sorel. Elle aura deux filles : Françoise et Louise

— Anne de France leur apportera une éducation soignée, entourée de beaucoup d'égards, de tendresse et de soins. Elle aura une influence des plus importantes pour leur avenir.

— Anne de Bretagne : née en 1477. Sa mère, Marguerite de Foix meurt en 1486 ; et son père, François II de Bretagne en 1488. Par son mariage avec Charles VIII en 1491, elle est reine de France.
Le jour du mariage, lors de la rédaction des contrats, Anne de Beaujeu fait signer à la " petite Duchesse aux hermines " une clause stipulant qu'en cas d'absence d'héritier mâle, il est convenu qu'elle doit épouser le successeur de Charles VIII. Ainsi, la Bretagne reste française, si Anne et Charles ont un fils, il sera roi et gardera le Duché dans son apanage. Sinon la Reine devra épouser le nouveau roi de France, ce qui augmente les chances d'engendrer un dauphin.
Lors des guerres d'Italie (Première guerre d'Italie (1494-1497), la régence est attribuée à Anne de Beaujeu, qui a déjà tenu ce rôle de 1483 à 1491. Anne de Bretagne est encore jeune (17 ans) et sa belle-sœur la suspecte. Elle n'a qu'un rôle réduit en France comme en Bretagne et doit parfois accepter d'être séparée de ses enfants en bas-âge. Anne vit essentiellement dans les châteaux royaux d'Amboise, de Loches et du Plessis ou dans les villes de Lyon, Grenoble ou Moulins (lorsque le roi est en Italie).

— Elle fut placée par Louis XII auprès de Mary Tudor, sa troisième épouse, " pour l'instruire des façons de France ".

— " Ce qui ne l'empêchait pas de préparer l'union dont elle rêvait, par des voies assez tortueuses. A peine Charles de Montpensier lui est-il rendu qu'elle engage son action. Marillac nous signale qu'assouvissant ses instincts d'éducatrice, elle fit initier son filleul un peu au latin, beaucoup à l'équitation, à la chasse et au jeu de l'arc " où il estoit enclin ". Mais c'est encore plus au jeu de l'intrigue qu'elle entreprit de l'exercer. A quatorze ans, le malheureux se voit entraîné dans la chicane. Pendant plus de vingt-trois années encore — c'est-à-dire toute sa vie — il y demeurera. " Pierre Pradel, Anne de France, 1461-1522, Publisud, 1986, p. 181.

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Un article où tout est dit sur le rôle " d'enseignante " d'Anne de France :
Élodie Lequain, La maison de Bourbon, " escolle de vertu et de perfection ".
Anne de France, Suzanne de Bourbon et Pierre Martin
,
Médiévales, n° 48, Paris, PUV, printemps 2005, p. 39-54.
mis en ligne le 02 mars 2007 :
http://medievales.revues.org/893?&id=893

 

En 1517, lors de la grossesse de Suzanne, le frère prêcheur Pierre Martin, confesseur d'Anne de France, prépare un Traité de l'érudition et de l'enseignement des enfants des nobles destiné à Suzanne. Il y souligne la réputation de la maison de Bourbon, centre d'éducation fort prisé par la noblesse : " est rumeur commune que la maison de Bourbon est une des singulieres de toute chretienté pour bien norrir et instruire en bonnes meurs, vertus et devocion, pudicité et toute honnesteté, les enfans des nobles, soient hommes ou femmes. Car c'est une escolle de vertu et de perfection et ou plusieurs nobles desirent leurs enfans estre norriz " (Érudition, fo 4vo - prologue adressé à Suzanne).

Ce que confirme Brantôme dont la grand-mère avait été élevée avec Anne de France, la " tutrice de roy ", " toujours accompaignée de grand'quantité de Dames et de filles qu'elle nourrissoit fort vertueusement et sagement. " Il écrit dans son Recueil des Dames, poésies et tombeaux : " n'y a guieres heu Dames et filles de grand'maison de son temps qui n'ayt appris leçon d'elle, estant allors la maison de Bourbon l'une des grandes et splendides de la Chrestienté " (I, VI : " Discours sur mesdames, filles de la noble maison de France ", p. 167sq).

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3.2. La famille Bourbon dans la tapisserie 6 de La Chasse

 

 

3.2.1. Anne de France et Pierre de Bourbon

 

Pierre II de Bourbon s'apprête à embrasser son épouse Anne de France sous l'arcade de " la Porte Dorée ".


Anne de France est mise très en valeur et a une place prééminente. Si on regarde la tapisserie à distance, elle se détache et apparaît vraiment au regard, encadrée par l'arche. L'artiste l'a réellement valorisée.

Pierre de Bourbon est traité plus " humblement ", non pas parce qu'il est mort, mais parce qu'il se doit de s'effacer devant sa femme, la fille de Louis XI. Il est présenté sans emphase, comme dans la miniature suivante :

frontispice des Statuts de l'ordre de Saint-Michel
copie pour Pierre II de Bourbon, peint à l'extrême droite, près d'Etienne de Vesc.
v. 1495, miniature sur parchemin - BnF - fr. 14363 f.1

Sa mort en 1503 peut nous aider à dater la tenture de La Chasse.


Les médaillons sculptés d'Anne et de Pierre
regardent la rue près du château ducal de Moulins

 

Extrait d'une lettre que nous a adressée M. Jean Cluzel le 19 mai 2011

" En effet — je l'explique au début de mon livre — j'ai une très grande admiration pour Anne de France ; c'est pour cette raison que je lui ai consacré ce livre.
J'ai du reste repris certain des mêmes thèmes dans un livre consacré à Jeanne d'Arc.

Je me suis placé simplement du point de vue historique en découvrant avec un grand intérêt que la politique de notre pays avait connu une période faste durant 70 ans et que trois femmes avaient joué un rôle éminent ; par ordre chronologique :
- Jeanne d'Arc
- Anne de France
- Jeanne de France

Une simple indication : comme vous, j'ai toujours remarqué qu'Anne de France avait la prééminence sur son mari. Tout simplement parce qu'elle était la fille aînée de Louis XI.

C'est la raison pour laquelle, contrairement à mes compatriotes Bourbonnais, je l'ai toujours appelée Anne de France, et non Anne de Beaujeu ; même pas Anne de Bourbon ; pour moi elle est Anne de France ; je n'en veux pour preuve que le titre du livre qu'elle a intitulé " Les enseignements à ma fille Suzanne ".

Elle avait subi les conséquences de la loi salique ; ce ne fut pas l'une des meilleures décisions de l'Histoire Française.

initiales de Pierre et Anne de Beaujeu
qu'unit la ceinture Espérance
(sculptées sous le porche du château)

 

James J. Rorimer reconnaît Anne de France dans une tapisserie qu'il a lui-même nommée La Glorification de Charles VIII en 1953 puis confirmée en 1963, une tapisserie dessinée par Jan van Roome et probablement commandée par Maximilien en l'honneur de son gendre Charles VIII, fiancé à sa fille Marguerite depuis 1482, tapisserie où selon Rorimer Charles VIII apparaît cinq fois.

https://www.jstor.org/stable/3257546

Cette tapisserie d'origine flamande, tissée vers 1490 peut-être à Bruxelles, est actuellement aux Cloisters. Si l'hypothèse de James Rorimer est exacte, Anne de France, âgée de vingt-neuf ans en 1490, est encore régente du royaume. En 1491, Charles, à vingt-et-un ans, renonce à son mariage avec Marguerite d'Autriche et épouse Anne de Bretagne, mariée par procuration à Maximilien, le père de Marguerite. Dans cette tapisserie, Anne de Beaujeu, portant la couronne d'une princesse royale et l'hermine royale, est représentée montant les marches du trône de son frère.

 

 

3.2.2. Leur fille Suzanne

(ou Susanne) de Bourbon

 

Sous sa robe, se découvre une jupe noire. Est-ce la marque d'un deuil ? Celui de son père, mort dans son château de Moulins le 10 octobre 1503 ?
Cette partie noire du vêtement a pu être ajoutée après le commencement du tissage, postérieurement à la mort de Pierre de Bourbon, qui pourrait être le commanditaire de La Chasse. Ceci permettrait de dater la tenture de La Chasse.

Regardez Suzanne (Suse-Anne) ! Elle semble bien jeune. Sa coiffe porte des pierres précieuses ! A son cou, un collier avec un médaillon. On sait qu'Anne de France était très attentive au devenir de Suzanne, sa seule enfant. Elle semble avoir tenu à ce que Suzanne soit présentée comme une princesse dans une image à caractère dynastique. Comme elle le fut dans le Triptyque de Moulins.

Elle est la dernière personne dans " l'espace " des tapisseries. A l'extrême droite. Où s'achève toute lecture occidentale. Elle clôt la longue litanie des personnages qui se sont succédés depuis la première tapisserie !

Dans cette tapisserie, Anne de France ne porte rien de luxueux : vêtements, bijoux…

 

La famille de Beaujeu " au complet " dans ce vitrail de la cathédrale de Moulins ?

Anne de France et Pierre de Beaujeu ont eu deux enfants : Charles de Bourbon (1476-1498) et Suzanne (1491-1521).
Sur le vitrail : Suzanne déjà fillette et un petit garçon agenouillé.
Sur le Triptyque : Suzanne plus grande, mais point de Charles.


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Suzanne est un prénom féminin d'origine biblique dérivé de l'hébreu " Shoshannnah " (signifiant à la fois " lys " et " rose "). Ce terme vient lui-même de " shoshan ou shoushan " (lys), mais aussi de " Shoushan ", la ville de Suse.

Suse ou Shushan est une ancienne cité de la civilisation élamite, devenue au Ve siècle av. n.è. la capitale de l'Empire perse achéménide, située dans le sud de l'actuel Iran et ne présente plus aujourd'hui qu'un champ de ruines. La petite ville iranienne de Shush, construite à proximité, a pris sa continuité.

Dans l'Ancien Testament, ce prénom apparaît dans un additif grec du Livre de Daniel, au 13e chapitre, dans la Vulgate (" de liberatione castae Susannae ", "de la libération de la chaste Suzanne"). L'histoire de Suzanne et les vieillards se déroule en Babylonie. Une jeune femme, Suzanne, surprise pendant son bain, refuse les propositions malhonnêtes de deux vieillards qui, par vengeance, l'accusent d'adultère et la font condamner à mort par le tribunal religieux. Mais le jeune prophète Daniel survient, prouve son innocence et fait condamner les vieillards.

Dans le Nouveau Testament, Suzanne est l'une des femmes qui suivent et assistent Jésus dans ses déplacements :
Luc 8, 1-3
Ensuite, Jésus allait de ville en ville et de village en village, prêchant et annonçant la bonne nouvelle du royaume de Dieu.
Les douze étaient avec de lui et quelques femmes qui avaient été guéries d'esprits malins et de maladies: Marie, dite de Magdala, de laquelle étaient sortis sept démons,
Jeanne, femme de Chuza, intendant d'Hérode, Susanne, et plusieurs autres, qui l'assistaient de leurs biens.

 



Remarquer :
— le regard du personnage de gauche en direction de Suzanne
— les regards " louches " des deux hommes
— et leur mine patibulaire de " comploteurs "
— les gestes de leurs mains gauches
— et la position de Suzanne, avec ses compagnes, près d'un bosquet d'arbres

(il semble que la coiffe noire de l'homme à gauche soit un ajout postérieur : couleur uniforme, texture différente et d'apparence neuve)

Une leçon morale de la part de la mère et du père à leur fille Suzanne de rester vierge jusqu'au mariage, à l'image de la Suzanne biblique, pieuse et chaste.

" Son honneur ! " Avertie avant son mariage en 1505 par les Enseignements de sa mère (p. 1 et p. 127), Suzanne connaît la fragilité de " son honneur " car " ne peult estre si peu quassé ou effacé, que jamais on y trouve réparation digne à y satisfaire ".

C'était sans doute aussi une leçon qui s'adressait aux autres "élèves" " d'Anne de France.

Cette " thématique de la souillure et de la pureté du corps " à l'œuvre dans Les Enseignements est analysée par Éliane Viennot dans l'article suivant :
Rhétorique de la chasteté dans les Enseignements d'Anne de France à sa fille Suzanne de Bourbon
http://www.elianeviennot.fr/Articles/Viennot-Anne-chastete.pdf

Sur ce même thème, lire à la page suivante le chapitre Quels lourds secrets dans la Tour ?

Sur la même tapisserie, en deux scènes contiguës, pourraient être mis en liaison directe le rappel de " l'affaire de la Tour de Nesle " et la présence d'Anne de France et de sa fille Suzanne. " Adultère " dans la Tour et " Fidélité " sous la Porte Dorée. Une " leçon " présentée dans Les enseignements d'Anne de France, duchesse de Bourbonnais et d'Auvergne, à sa fille Susanne de Bourbon :
http://www.archive.org/stream/lesenseignements00anneuoft#page/n0/mode/2up

" Prenons les épisodes de l'Ancien Testament que je viens de citer [Noé tenant dans son arche, Daniel entre les lions, Suzanne à côté des vieillards, archétypes de la foi et de la délivrance]. Ils reviennent ensemble dans la prière, aussi bien à la synagogue qu'à l'église, comme exemples d'interventions divines pour soustraire le fidèle à la mort. Les spécialistes expliquent le choix de ces sujets dans les peintures des catacombes et les sculptures des sarcophages par leur relation avec l'idée de délivrance.

Mais un théologien de l'Église grecque contemporain des œuvres, Hippolyte de Rome, interprétait l'histoire de Suzanne d'une tout autre façon, plus complexe, suivant la tendance exégétique de l'époque. Suzanne, écrit-il, est l'Église persécutée ; son mari, Joachim, est le Christ ; leur jardin est la société des saints, qui sont autant d'arbres fruitiers ; Babylone, qui cerne le jardin, est le monde où vivent les chrétiens ; les deux vieillards sont les deux peuples, juif et païen, ennemis de l'Église ; le bain de Suzanne est celui du Baptême, qui régénère l'Église au jour de Pâques ; les deux servantes sont la Foi et la Charité ; les parfums dont elles oignent le corps de leur maîtresse sont les commandements du Verbe ; l'huile, enfin, est la grâce de l'Esprit Saint, et particulièrement celle que confère la confirmation.

Tournons-nous maintenant vers les représentations de Suzanne et des vieillards dans les catacombes. En général, on n'y voit que ces trois personnages sur un fond nu ; aucun des autres éléments de l'histoire, telle qu'elle est contée dans le Livre de Daniel, n'y figure.

Dans un cas, Suzanne se trouve remplacée par un agneau, et les vieillards par deux loups flanqués de la légende " seniores ". Les loups sont une métaphore qui peut avoir un sens théologique, car on qualifiait de " loups " les hérétiques. Mais on peut les envisager ici du point de vue des Évangiles, comme une figure du mal (Matthieu, 10, 16) et, connaissant d'autres exemples de scènes bibliques interprétées par des acteurs animaux, on s'en tiendra sans mal à la lecture courante de cette image métaphorique comme d'un symbole de délivrance. On ne peut exclure, toutefois, qu'elle ait eu d'autres sens pour les chrétiens de l'époque. "

Meyer Schapiro, Les mots et les images. Sémiotique du langage visuel, 1996, Macula, 2000, traduit de l'américain par Pierre Alferi, p. 32-33.


Allégorie de Suzanne entre les deux vieillards - cimetière de Prétextat - Rome

 

" L'agneau est dès l'origine et restera le symbole chrétien par excellence. La place importante qu'il tient dans le langage biblique suffit à expliquer son adoption par les premiers chrétiens comme un des symboles les plus parfaits du Sauveur. L'agneau sans tache que les Hébreux mangent le jour de la Pâque est déjà la figure du Messie. […] Une des plus anciennes représentations de l'agneau figure sur une fresque du cimetière de Domitilla (fin du 1er siècle).
[…] Par une allégorie ingénieuse, l'agneau entre deux loups représenta Suzanne et les deux vieillards, par exemple sur une peinture du cimetière de Prétextat (IVe s.). (Louis Bréhier, L'Art chrétien, éd. laurens, 1928, pp. 27-28)

 

http://fr.wikipedia.org/wiki/Suzanne_(pr%C3%A9nom)

http://fr.wikipedia.org/wiki/Suzanne_et_les_vieillards

http://www.lechampdumidrash.net/articles.php?lng=fr&pg=68

http://bible.catholique.org/livre-de-daniel/4869-chapitre-13

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Les deux œuvres écrites par Anne de France, Les Enseignements à ma fille Suzanne et L'Histoire du siège de Brest, livrent la clef de sa carrière politique presque toute entière placée sous le signe de la dissimulation. Comme le dit Jules Michelet, Anne de France semble avoir "mis autant de soin à cacher le pouvoir que d'autres se mettent à le montrer". Ses contemporains avaient déjà le même sentiment.

Éliane Viennot a analysé cette "dissimulation" dans son article Gouverner masqués où elle rappelle les travaux des historiens passés qui ont mis en évidence le rôle politique du couple Beaujeu. Elle rappelle que Louis XI "avait pris ses précautions pour qu'en cas de malheur sa fille et son gendre demeurent aux commandes de l'Etat, eux qui le secondaient depuis une décennie pour l'un, quelques années pour l'autre". L'étude attentive des "lettres" de Charles VIII permet d'écrire que les principaux conseillers du jeune roi Charles VIII sont avant tout Anne et Pierre de Beaujeu-Bourbon. Lors de l'expédition d'Italie, Pierre a été désigné "lieutenant du roy en son royaume" et la ville de Moulins est alors devenue capitale administrative. De plus, note Éliane Viennot, Charles VIII ne cesse d'y séjourner durant toute la fin de son règne : "le roi… aimait sa sœur et vécut pratiquement toute sa vie avec elle à partir de 1483". C'est dire le rôle essentiel des Bourbon dans le règne de Charles VIII.

"Cet effacement, qui ne repose en réalité que sur l'extrême discrétion d'Anne à partir de 1492", "ce retrait du devant de la scène de celle que le peuple appelait "Madame la Grant" semble autant le produit de sa très grande intelligence politique que d'une décision commune au groupe dirigeant."

Retrouvons cette "extrême discrétion" dans un lieu un peu écarté, mais très visible, sous la "Porte Dorée" de la sixième tapisserie de La Chasse à la licorne.

 

Anne de France, Enseignements à sa fille, suivis de l'Histoire du siège de Brest, Edition Tatiana Clavier et Éliane Viennot, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2006.

Viennot, Éliane, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2006.
Viennot, Éliane : tous ces articles sur le site : http://www.elianeviennot.fr/Articles/

 

 

3.2.3. Le mari de Suzanne : Charles de Montpensier ?

 

Le " complexe de l'occiput " est à l'œuvre dans cette scène. Ainsi que dans la tapisserie 2 (La Fontaine), un personnage est situé juste derrière un autre plus " important " et son regard fixe sa nuque comme pour traverser le cerveau et resurgir par les yeux. Ici, l'homme à la toque jaune pourrait être Charles de Montpensier, futur Charles III de Bourbon et connétable de Bourbon. Anne de France fut aussi pour lui un mentor, une " directrice de conscience ", qui lui a " ouvert les yeux ". Il a appris à " voir le monde par ses yeux ".

http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_III_de_Bourbon

 

 

3.2.4. Qui est ce 4ème personnage ?

 

Le quatrième personnage dont on ne voit que le sommet du crâne et un œil (l'œil du peintre) pourrait être Jean Perréal que je pense être le créateur de La Chasse à la Licorne et de La Dame à la Licorne. Il fut le peintre officiel de Charles VIII, Louis XII et François 1er et il doit une grande part de sa carrière à la protection d'Anne de France qui l'invita à sa cour de Moulins. Ce serait pour lui une manière de rendre hommage à "son mentor", à celle qui l'a initié.

L'artiste, selon moi, est aussi présent par le chien (perro-réal = chien royal ; perro signifie chien en espagnol) que salue le dauphin.

 

3.2.5. Les emblèmes de la famille Bourbon

 

Les 3 " Vertus " ont leur place aussi : Foi, Charité et Espérance

1. " Espérance "

L'Ordre de l'Écu d'Or, à la double devise : " Allen " et " Espérance ", fut institué par Louis II, duc de Bourbon, le 1er Janvier 1369, à son retour d'Angleterre, où il fut sept ans l'un des otages du Roi Jean. Lors de la paix de Brétigny de 1360, il avait été désigné comme l'un des otages pour garantir le traité.
L'insigne consistait en un médaillon ou écu d'or qui fut donné pour étrennes seulement à 17 Chevaliers. Cet insigne que les chevaliers portaient sur le côté droit était traversé d'une bande de perles, où était inscrite la devise du Duc de Bourbon, le mot " ALLEN ", qui signifiait : " Allons tous ensemble au service de Dieu, et soyons unis en la défense de nos pays, et là où nous pourrons trouver à conquérir honneur par fait de Chevalerie ". Le costume était orné d'une ceinture bleu ciel sur laquelle était inscrite la devise " Espérance " rappelant la devise du duché : " d'espérance mes ailes restent symbole ".

" Plusieurs auteurs ont mis en doute l'existence de cet ordre et pensent que le bijou était simplement une pièce de plaisir que Louis II distribua aux seigneurs de sa cour à l'occasion du 1er janvier. " (wikipédia)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_de_l'%C3%89cu_d'or

Louis II de Bourbon (1337-1410), duc de Bourbon, baron de Combrailles, comte de Forez, surnommé le "Bon duc", était le fils de Pierre 1er et d'Isabelle de Valois. Il épousa Anne d'Auvergne, comtesse de Forez. Il combattit les Anglais, sous les ordres de Du Guesclin. Il mourut en 1410 au château de Montluçon.

 

La ceinture est présente :
— sur le tombeau de Louis II à Souvigny (Allier)

Le soubassement de pierre blanche est orné d'écussons des Bourbons
alternant avec des ceinturons portant la devise "Espérance".

— sur une tapisserie (vers 1470-1476) aux armes de Charles II de Bourbon (1433-1488), archevêque de Lyon (1444-1488), que nous connaissons par une aquarelle exécutée pour François Roger de Gaignières. (BNF - Ms Pc 18 fol.15)

Les mots "Espérance" sur les ceintures voisinent avec la triple inscription " venena pello - je chasse le venin "

 

— sur les édifices de la ville de Moulins


 

— sur le cadre doré du triptyque du Maître de Moulins, en bas au centre


 

— sur un vitrail de Saint-Bonnet-le-Château


La "ceinture" portant la devise est-elle à chercher dans les brins inférieurs du " lacs d'amour " en haut à droite de la tapisserie 7 (celle de Résurrection) qui dessinent un cercle, uniquement dans cette tapisserie ?

Sur la façade du palais ducal de Moulins peuvent se lire de nombreuses références aux Bourbons :
— les initiales "P" pour le duc Pierre II et "A" pour la duchesse Anne
— la "ceinture Espérance"
— le Cerf Ailé (référence symbolique au Christ et aux ailes d'espérance)
— le Chardon (symbole issu peut-être d'un jeu de mot avec "cher don", en référence au mariage de Louis II et d'Anne d'Auvergne)

 

Il semble que Pierre II de Beaujeu (1439-1503) ait introduit la figure du cerf volant dans l'emblématique de la maison de Bourbon en l'associant à la ceinture où se déploie le mot " Espérance ", emblème représentant l'Ordre d'Espérance, ordre militaire créé par le duc Louis II de Bourbon après 1366.

 

1- relief en bois polychromé commémorant le mariage d'Anne et de Pierre en 1473
2- écu au Cerf Ailé - XVe siècle - provient de Neuvy (Allier)
3- tympan sculpté en pierre provenant de la chapelle du château de Moulins
musée Anne de Beaujeu - Moulins (Allier)

2. " Charité "

C'était la devise de François de Paule que Louis XI, le père d'Anne de France, fit venir auprès de lui en avril 1482 pour que ses prières le guérissent. Après la mort de Louis XI en avril 1483, il va rester près de vingt-cinq ans à la Cour de France, sous la protection de Charles VIII et de Louis XII.
Saint François de Paule, né en 1416 à Paule, en Calabre (Italie) et décédé en 1507 au couvent de Plessis-lez-Tours, était un religieux ermite italien, fondateur de l'ordre des Minimes dont la devise était "Charitas", "Charité ".
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_de_Paule


3. " Foi "

Marguerite de Foix (née après 1458, morte en 1486 à Nantes), la mère d'Anne de Bretagne, est-elle représentée ici ? " Est-ce trop ? Peut-être ! " ajoute, humblement, Howard…

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Une anamorphose ?


Et tout en bas à droite, dans cette encoignure de tapisserie, une forme effacée, comme tapie, embusquée, indéchiffrable, anamorphique.

Cet élément énigmatique pourrait être une anamorphose, comme il en existe une selon moi au sommet de la tente de la tapisserie Mon seul désir de La Dame à la licorne. Les premières anamorphoses sont dues à Léonard de Vinci : un visage d'enfant et un œil (Codex Atlanticus, 1485).
Pour accéder à l'anamorphose de l'œil, cliquer ici.

La tête d'un chien qui émerge de la végétation ? La signature ultime du Perro-Réal ? Qui reste le Maître de sa Création ! Le Grand Architecte de son microcosme !

James Rorimer explique la disparition de tout blason ou autre marque royale sur les cinq tapisseries centrales qui à l'origine étaient accrochées ensemble comme une série (la première et la dernière tapisseries étaient accrochées dans une pièce différente) dans le château ancestral de la famille La Rochefoucauld à Verteuil. Un acte de 1793, envoyé à la Société populaire de Verteuil par la Société populaire de Ruffec, a ordonné que toutes les tapisseries portant des insignes royaux soient détruites. Ainsi s'expliqueraient la coupe au sommet des tapisseries et la difficulté de toute identification.

Auraient disparu :
— en haut des tapisseries, des textes explicatifs ? (ce qui expliquerait que certains arbres de la tapisserie 3 soient étêtés)
— et en bas à droite de la tapisserie 6, un signe de noblesse, un symbole aristocratique : noms de reines et de rois, couronnes, blasons…? On peut imaginer une des nombreuses références aux Bourbons : les initiales "P" et "A" ; la "ceinture Espérance" ; le Cerf Ailé ; le Chardon.

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Le groupe des trois femmes

Les trois Marie

Sous le nom de "Trois Marie", la tradition catholique désigne trois femmes disciples de Jésus : Marie-Madeleine, Marie Salomé et Marie Jacobé. Les évangiles synoptiques placent ces trois femmes au pied de la croix alors que l'évangile attribué à Jean n'en cite que deux.

Matthieu : 27.55 : "Il y avait là plusieurs femmes qui regardaient de loin; qui avaient accompagné Jésus depuis la Galilée, pour le servir." 27.56 :"
Parmi elles étaient Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques (le mineur) et de Joseph, et la mère (Salomé ?) des fils (Jacques le majeur et Jean) de Zébédée."

Marc : 15.40 : "Il y avait aussi des femmes qui regardaient de loin. Parmi elles étaient Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques le mineur et de Joses, et Salomé," 15.41 : "qui le suivaient et le servaient lorsqu'il était en Galilée, et plusieurs autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem."

Marc : 16.1 :"Lorsque le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé, achetèrent des aromates, afin d'aller embaumer Jésus."

Luc : 24.9 :"A leur retour du sépulcre, elles annoncèrent toutes ces choses aux onze, et à tous les autres." 24.10 : "Celles qui dirent ces choses aux apôtres étaient Marie de Magdala, Jeanne, Marie, mère de Jacques, et les autres qui étaient avec elles."

Jean : 19.25 : "Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie (Marie-Jacobé), femme de Clopas, et Marie de Magdala."

Selon la légende, elles seraient venues s'établir en Camargue après avoir été chassées de Palestine au Ier siècle par les Romains : placées dans une barque sans voile ni rame, elles furent poussés par les courants vers le delta du Rhône. Elles y furent accueillies par Sarah, femme noire qui devint leur servante.

Celle située juste derrière Louis XII représente-t-elle à la fois trois de ses parentes prénommées Marie ? Marie de Clèves, sa mère ; Marie de Bourgogne, sa grand-mère maternelle ; Marie d'Orléans, sa sœur.

 

Les liciers

Dans La Chasse, l'artiste a représenté de nombreux métiers : charpentiers, tailleurs de pierre, écrivains, avocats, musiciens, etc…

Les trois femmes qui s'approchent de la licorne morte (du tombeau) représentent tous les groupes de " trois femmes " : les 3 Grâces, les 3 Parques (Clotho, Lachésis et Atropos - respectivement Nona, Decima et Morta en latin)… Les 3 Parques avaient pour profession d'être des " tisserands " (des fils de la vie), même si à cette époque le métier était réservé aux hommes.
Ces " liciers " côtoient notre artiste, Jean Perréal, toujours dans le coin inférieur à droite.

 

 

4. Reste à expliquer l'appartenance de la tenture à la famille de La Rochefoucauld

 

Achat ou don postérieur puis ajout des lettres cousues F-R ?

 

Le château de VERTEUIL en Charente où séjourna La Chasse à la licorne

 

5. Le roi

 

Marie-Louise von Franz, L'Ombre et le mal dans les contes de fées,
La Fontaine de Pierre, 1980. Traduction de Francine Saint René Taillandier.

Louis XII " remplace " le Christ mort, et attend son dauphin pour que la chaîne continue.
" En quoi le roi des contes est-il, dès lors, une image du Soi, et en quoi en diffère-t-il ? La réponse se trouve dans le rituel shillouk décrit plus haut le roi n'est pas le Soi, mais seulement le symbole manifesté et donc temporel de cet archétype. Ainsi le Christ fut le roi de notre civilisation ; il fut un aspect du Soi sous cette forme spécifique qui imprégna la civilisation judéo-chrétienne il en est le roi des rois, le contenu dominant.
De même, le Bouddha est l'aspect du symbole du Soi tel qu'il est formulé de façon spécifique dans la civilisation bouddhique. C'est pourquoi le roi n'est pas l'archétype du Soi, mais un symbole du Soi devenu une représentation centrale dominante dans une civilisation donnée. " p. 47

" L'archétype du roi peut signifier la fécondité et la puissance d'une ethnie ou d'une nation ou, au contraire, le vieux monarque tyrannique qui étouffe toute vie nouvelle et qui, par conséquent, devra être déposé. " p. 58.


" Si nous rapprochons ces caractères de notre hypothèse que le roi représente la dominante du conscient collectif de l'époque, et en particulier le symbole religieux, on peut se demander si le christianisme a présenté une problématique de cet ordre. Je pense qu'il faut répondre à cette question par l'affirmative. " p. 60.


" Nous avons vu que l'image archétypique du roi incarne la dominante du conscient collectif ; il est un symbole concret du Soi, c'est-à-dire que celui-ci apparaît sous une forme devenue manifeste, vénérée à une certaine époque et au sein d'une communauté particulière. Tout symbole puissant du Soi unit en lui-même les opposés ; mais, s'il perd de sa force, il ne remplit plus sa fonction et les opposés recommencent à se séparer. " p. 61. De là, conclure que le symbole chrétien possède encore son pouvoir et est capable de concilier les opposés.

" La figure archétypique du roi qui doit être tué rituellement pour renaître est une allusion à l'inévitable vieillissement de tout principe conscient qui doit périodiquement se renouveler pour que ne s'arrêtent pas l'évolution psychique et la vie. " p. 394.


" L'aspect meurtrier que peut prendre une civilisation de type trop exclusivement masculine comme la nôtre a deux causes psychologiques principales : d'une part l'unilatéralité est forcément déséquilibre ; une société qui privilégie l'un des sexes et une moitié de l'être humain et de l'humanité est incomplète et dangereuse. Que ce soit au niveau individuel ou au niveau collectif, il est aussi faux et mutilant de vouloir vivre avec les seules qualités viriles qu'avec les seules qualités féminines, car tout être humain, homme ou femme, est une combinaison des deux principes, mâle et femelle, aussi indispensables l'un que l'autre à son équilibre et à sa fécondité. C'est ce que toute la symbolique alchimique, par exemple, essaye de montrer, grâce aux images du mariage du roi et de la reine, ou de l'hermaphrodite, images oniriques qui sont toujours vivantes et apparaissent avec le même sens chez beaucoup de contemporains. " p. 402.

 

6. Le couple alchimique

qui couronne le Grand Œuvre ou des personnages historiques ?

 

 

Le Soufre et le Mercure, principes mâle et femelle, étaient symbolisés par un homme et une femme, souvent un roi et une reine.

Leur union constituait le Mariage Philosophique.
Après ce mariage, la matière était appelée Rebis, symbolisé par un corps humain surmonté de deux têtes, une d'homme, l'autre de femme, hermaphrodisme chimique commun à bien des traités alchimiques.

 

Les couleurs blanc et rouge des bas du roi se sont vues attribueés plusieurs explications :

— ce sont les couleurs de Louis XII

— elles sont les couleurs du mercure (candor et rubor) assimilé au matrimonium donc à la conjunctio

— elles correspondent aux deux phases alchimiques l'albedo et la rubedo

— elles renvoient à un passage du Cantique des Cantiques (V,10) : "Dilectus meus candidus et rubicundus : mon bien-aimé est blanc et rouge."


L'hiérogamos, le mariage sacré :
certains thèmes archétypiques fréquents dans l'alchimie se retrouvent, selon C.G. Jung, dans les songes des êtres humains de notre époque qui ne connaissent rien de l'alchimie et de ses symboles.

 

derrière les barreaux de la cellule qui évoque le matras clos alchimique :

Le couple alchimique veut s'accoupler pour engendrer un fils, un " roi " ? Il pourrait s'agir du couple royal Anne de Bretagne — Louis XII désirant un fils.

Planche II du Donum Dei du 17e siècle :
recueil de citations alchimiques extraites de manuscrits du 15e siècle.

 

Pour retrouver Anne de France dans La Dame à la licorne, cliquer ici

 

 

 

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