Entre Lyon et Cour
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Pour venir à bout de ce chapitre, je m’appuierai sur les études de Martin Warnke, de Tania Lévy et de Philippe Lorentz, avec les guillemets d’usage pour les citations.
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Martin Warnke, L'artiste et la Cour. Aux origines de l'artiste moderne, éditions de la maison des Sciences de l'Homme, 1989. Traduit de l’allemand par Sabine Bollack.
Tania Lévy, « Mystères » et « joyeusetés » : les peintres de Lyon autour de 1500, thèse 2013.
Vol. I : https://theses.hal.science/tel-01688643v1/document
vol. II : https://theses.hal.science/tel-01688643v1/document
Philippe Lorentz, « peintre et valet de chambre à la cour de France aux XIVe et XVe siècles : titre honorifique ou poste budgétaire ? » in Lorentz Philippe et Eichberger Dagmar (dir.), The Artist between Court and City (1300-1600) / L'Artiste entre la cour et la ville / Der Künstler zwischen Hof und Stadt, Petersberg, Michael Imhof, 2017, p. 47- 54.
file:///C:/Users/HOME/Downloads/The_Artist_between_Court_and_City_1300_1-3.pdf
Tania Lévy, « Entre consuls et rois. Jean Perréal et les peintres lyonnais », même ouvrage, L'Artiste entre la cour et la ville, 2017, p. 178-188.
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Généralités
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Martin Warnk, dans les premières lignes de son introduction, écrit :
« Procédant à l’examen des formes de réception de l’art et des artistes dans les cours d’Europe occidentale depuis le début des temps modernes, l’étude qu’on va lire s’attache à développer et à fonder la thèse suivante : […] que la spécificité de tout le système d’activité humaine appelé "art" est une conséquence des formes particulières du rapport que les cours entretenaient avec l’art et les artistes. »
Il oppose sa thèse à celle généralement admise qui affirme que « l’autonomisation de la conscience artistique serait l’une des grandes conquêtes de la culture bourgeoise des cités de la Renaissance. »
Et plus loin :
« Dans toutes les villes où s'expriment les exigences d'émancipation des artistes, elles se présentent comme un reflet ou une référence à la considération et au statut auquel les artistes avaient accès dans les cours.
Cette position privilégiée découlait des tâches incombant aux arts visuels dans le cadre de la représentation seigneuriale.
Les besoins de représentation des cours ont entrainé des aménagements qui se sont ensuite traduits dans les institutions. Les cours ont été les premières à créer et à développer des aides financières à la formation des artistes, ainsi que des formes de circulation des artistes. Elles sont aussi à l'origine de la responsabilité de l’État sur l’infrastructure du bâtiment, de la mise en œuvre de moyens de moyens visuels à des fins de persuausion profane et de représentation de l'État, ainsi que des formes de réception de l’art valorisant le plaisir et la subjectivité esthétique. »
Albert Châtelet répond aux propos de Martin Warnke
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1991_num_149_1_3235_t1_0137_0000_5
« Et il est assez paradoxal que ce soit justement un historien d'Art allemand qui défende la prééminence de la cour à la fin du Moyen Age, alors que l'originalité même du monde germanique au XVe siècle est l'absence de foyer princier notoire et l'insertion des artistes dans les communautés artisanales des grandes cités. Même l'essor de la peinture à Cologne n'est pas le fait des archevêques-électeurs.
« L'étude est particulièrement riche et s'articule en deux orientations. C'est d'abord l'accès des artistes à la cour qui est étudié, en énumérant notamment tous les intermédiaires possibles, les gouvernements, les commerçants, les humanistes.
Un des aspects les plus intéressants est l'accent mis sur l'utilisation politique des artistes par des communautés bourgeoises pour s'assurer l'appui de cours princières. La seconde face s'étend longuement sur la situation faite aux artistes dans les cours, leur statut dans l'entourage princier, leurs conditions économiques, leur rôle. »
« Il est regrettable aussi que Martin Warnke n'ait pas souligné assez nettement que si le Prince joue un rôle décisif dans la carrière des artistes, c'est bien rarement qu'il a une action décisive dans l'évolution des Arts. »
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Historique
Martin Warnke :
« Dans la seconde moitié du XIVe siècle et au cours du XVe siècle, à la cour de France, l’habitude est prise de donner à des peintres, des enlumineurs, des orfèvres et des sculpteurs un emploi de valet de chambre, qui semble désormais le plus approprié pour des artistes. »
Pourtant des artistes se voient octroyer le titre de « peintre du roi » (pictor regis), dont la première occurrence connue se rapporte à Évrard d’Orléans (1304) et qui vaut à celui qui le porte le versement de pensions viagères.
« Le titre de "valet de chambre" n'a guère été attribué aux artistes de cour plus longtemps que celui de familiaris. Dans les Flandres, sous Marguerite d'Autriche, il n'est déjà plus usité pour les artistes ; en Espagne, en revanche, il ne disparaît qu'au XVIIe siècle. En France cette charge n'avait plus de raison d’être vers la fin du XVIIe siècle, puisque l'Académie de peinture était désormais l'institution qui faisait autorité, et qu'elle comportait des échelons de rangs et de fonctions suffisamment différenciés pour satisfaire aux ambitions d'avancement. »
Vers 1500 en France, l’adjectif « ordinaire » commence à être adjoint au titre : ainsi Jean Perréal est désigné en 1498 comme « valet de chambre et paintre ordinaire du roi »
« Le premier "peintre de la ville" que je connaisse est Jacques Cavael, qui, à Ypres, en 1399, porte ce titre.
Martin cite encore Pieter van Beervelt (present meester) à Gand, Robert Campin à Tournai, Rogier van der Weyden (portraiteur de la ville) à Bruxelles… »
« Si certains peintres ont été nommés "peintres de la ville" comme …, il ne semble pas que ce fut le cas pour Jean Perréal. »
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Jean Perréal à la ville
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La ville de Lyon
La ville de Lyon connaît au début du XVIe siècle une prospérité économique et artistique pour diverses raisons :
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Jean Perréal au centre des relations
« Les gouvernements des villes ont toujours su que les artistes de valeur représentaient un capital qui pouvait intéresser des princes. […] Au XVe siècle, les princes qui voulaient faire appel à des artistes s'adressaient volontiers aux gouvernements des villes, pour avoir un artiste déterminé, ou celui que la ville leur recommanderait. »
« Les gouvernements des villes ont parfois choisi pour leur représentant régulier un artiste qui avait bien réussi à une cour : en 1520, Jean Perréal, magistrat (sic) de la ville de Lyon, fut chargé de défendre les intérêts de la ville auprès du roi. » (Martin Warnke, p. 99)
Pour Tania Lévy, Jean Perréal s’avère la figure emblématique de la ville de Lyon, le témoin des relations entre les peintres de Lyon, avec Paris, la Bresse ou l’Italie.
Jean Perréal est un artiste protée qui « ne tient pas en place ». Il arpente le territoire du royaume et d’une partie de l’Europe Occidentale. Jehan, est de Paris, mais aussi de Lyon. On le voit passer à Bourges, à Moulins, à Tours, puis le voici en Bourgogne, en Italie qu’il parcourt deux ans durant, en Savoie ; il traverse la Manche pour l’Angleterre.
Un pied à Lyon, sur les bords de la Saône, et l’autre à la Cour, sur les bords de la Seine ou de la Loire.
Il obtient la charge de valet de chambre et le titre de peintre du roi Charles VIII, en 1496, l’année où il signe, en première place, les Statuts de la communauté des peintres, peintres-verriers et sculpteurs de Lyon.
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Cour – ville de Lyon
Son double « destin » entre Cour et Ville commence en 1483 avec Louis XI. Vers la fin de sa vie, très malade, le roi croit que saint François de Paule pourrait le guérir.
Sur ses instances et celles du pape, François quitte le couvent de Paterno en Calabre le 2 février 1483 pour se rendre, par terre et mer, au château de Plessis-les-Tours, en passant par Naples, Rome, Gênes et enfin Brégançon.
Louis XI envoie une escorte commandée par Guynot de Boussière (ou de Lauzières) maître d'hôtel du roi et sénéchal du Quercy, pour accompagner vers la France François de Paule et ses Frères ermites Bernardino Otranto da Cropolati et Giovanni Cadurio della Rocca.
La troupe arrive à Lyon le 24 avril 1483 comme l'attestent les comptes de la ville.
Par lettre du 24 février, Louis XI avait déjà ordonné au Consulat de la ville de faire bon accueil à l'ermite :
« Nous envoyons notre ami et féal conseiller et maistre d'ostel Rigaud d'Oreille à Lion au-devant de Guynot de Lozières [de Boussière] qui amène un homme de saincte vie avec lui que nous avons envoyé quérir à Naples et avons donné charge au dit d'Oreille de faire faire un chariot et litière pour l'amener mieux à son aise. Nous vous prions, sur tout le service que vous désirez faire, que vous receviez et festoyez ce sainct homme le mieux que vous pourrez ».
Il renouvelle ses ordres le 27 mars :
« Quand le dit saint homme sera arrivé par-delà, recevez-le et le fêtez comme si c'était nostre Saint-Père… nous le voulons ainsi pour l'honneur de sa personne et de la saincte vie qu'il mène »

https://www.tombeaudesaintfrancoisdepaule.fr/le-voyage/
En cette année 1483, Perréal est désigné par les consuls de Lyon pour la décoration du chariot qui doit conduire François de Paule en Touraine.
Les comptes de la ville de Lyon mentionnent la dépense pour la fabrication du chariot achevé le 21 avril et de colliers pour mener le chariot de Lyon à Roanne.
Le 1er ou 2 mai 1483, François arrive à Tours.
Perréal est-il du voyage Lyon-Tours et y rencontre-t-il Louis XI ?
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Les séjours des rois
En 1505, Louis XII lui confie la vaisselle d’or du couple royal (BnF, mss. fr. 22355, f°213 et suivants). Léon de Laborde le rapporte ainsi :
« Jean de Paris, peintre du roi, agissant comme garde de la vaisselle d'Anne de Bretagne au mois de juin 1505.
Nous avons déjà beaucoup de renseignements sur ce peintre, mais en voici un que j'avais omis :
« Inventoire de la vaisselle d'or qui a esté baillée et mise entre les mains de Jehan de Paris, varlet de chambre du Roy et de la Royne par l'ordonnance des dits Seigneur et Dame. Laquelle a esté pesée ès présences de messeigneurs les chancelier de Bretaigne, evesque de Nantes, les gèneraulx d'oultre Seine, de Languedoc et de Bretaigne et de nos contrerolleurs cy dessoubz signez et laquelle a esté mise et est de présent ou signez et laquelle a esté mise et est de présent au cabinet dudit Seigneur au chasteau de Blois.
Premièrement la vaisselle faicte par Arnoul de Viviers orfévre de la Royne (suit une série d'articles, puis) : Autre vaisselle faicte par Henry orfévre du Roy. (Une nouvelle série d'articles qui se temine ainsi ) : Je Jehan de Paris, painctre et varlet de chambre du Roy et de la Royne, confesse avoir eu et receu de maistre Raoul Herault, trésorier général des finances de la dite Dame, les pièces de vaisselle d'or cy dessus spécifiées et déclarées pesantes ensemble six cens cinquante deux marcs, six onces, six gros, ensemble le petit navire [soit environ 160 kg actuels]. Lesquelles pièces la dicte dame m'a fait bailler et mectre en mes mains. En tesmoing de ce j'ay signé ce présent inventoire de mon seing manuel cy mis, le tiers jour de juins l'an mil cinq cens et cinq.
Jehan de Paris. »
Bibliothèque impériale. Fonds des Blancs-Manteaux, n° 49, fol. 213.
Cf. Léon de Laborde, La Renaissance des arts à la cour de France : études sur le XVIe siècle, 1850, tome II, Paris : impr. de J. Claye, p. 748-749).
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5511287d.texteImage
Il se fait à l’occasion le porte-parole des souverains : pour exprimer les remerciements de la reine en 1509 ou le mécontentement du roi au sujet de la police et de la justice de la ville en 1512. Martin Warnke insiste précisément sur ce rôle tenu par Perréal qui incite la ville à modérer son impôt.
Les Entrées sont des cérémonies à la fois royales et urbaines. Tania Lévy répertorie vingt Entrées dont neuf royales, sans compter celles annulées de 1463 et 1509. Elles sont « l’occasion d’un déploiement de faste, et de nombreuses réalisations de décors éphémères à partir des idées portées par les donneurs d’ordre, les commanditaires et les peintres. L’essentiel des forces économiques, littéraires et artistiques est mobilisé au moment des fêtes. »
Perréal participe à cette vie à la fois artistique et publique en s’occupant de plusieurs entrées, dont celle de l’archevêque Charles II de Bourbon, en 1485. D’autres entrées lui permettent de lier des relations avec les seigneurs de Moulins, Pierre de Bourbon et Anne de France.
Il est chargé du bon déroulement de nombreuses fêtes royales ou solennelles jusqu’en 1518 avant que ses traces lyonnaises disparaissent au début des années 1520.
Une grand part de ses activités de tous ordres ont donc lieu principalement à Lyon, entre sa première apparition en 1483 et son « départ » de Lyon en 1518 ; ce qui lui laisse encore douze ans de pratique jusqu’à son décès en 1530 à Paris.
Pendant la chevauchée de Charles VIII et de son armée en Italie, il écrit (peut-être) le Romant de Jehan de Paris, roi de Francepour (consoler et amuser peut-être) Anne de Bretagne qui attend à Lyon le retour de son prince.
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Les courtisans, les humanistes
Pour Martin Warnke, courtisans et humanistes sont pour un artiste des relais naturels de la ville vers les cours princières.
Pour Tania Lévy :
« La question du rapport effectif entre lettrés et artistes est particulièrement intéressante dans le cas de Lyon et peut être abordée à l’aide de la figure majeure de Jean Perréal et des nombreux érudits fréquentant la cité.
L’étude des textes évoquant la peinture permet de cerner une facette complémentaire de ces relations. Il paraît évident qu’elles dépendent de l’occasion et des personnalités, et Perréal se révèle en ce sens très important. Écrivain amateur lui-même, il échange des lettres et des poèmes avec plusieurs humanistes, lyonnais ou non. »
Sont à citer Pierre Sala, Jean Lemaire de Belges, Symphorien Champier, Geoffroy Tory, Cornelius Agrippa, et dans ses dernières années Jacques Le Lieur.
Tania Lévy nous présente deux exemples :
« Deux dessins du musée Condé à Chantilly peuvent néanmoins être rattachés à la fois à la commande de cour et à Lyon, car ils sont attribués à Jean Perréal, avant même sa nomination comme peintre du roi.
Réalisés à la pointe d’argent, rehaussés d’or, ils ont le même format et portent des inscriptions anciennes désignant les personnages : le comte de Luxembourg, Louis de Ligny et Philippe (ou Philibert) II de la Platière, seigneur de Bordes.

Philibert II de la Platière & Louis de Ligny
Tous deux étaient dans la suite de Charles VIII en 1494 et franchissent les Alpes en sa compagnie. Les liens de Philippe de la Platière avec la ville de Lyon et la région sont peu connus mais ceux de Louis de Ligny sont bien établis : Jean Lemaire de Belges – peut-être sur les conseils de Perréal – se met ainsi à son service à la mort de Pierre de Bourbon, précédent patron de l’historiographe.
La parenté des deux dessins, très certainement réalisés à la demande des modèles eux-mêmes, incite à penser qu’ils ont pu être réalisés à la même date et à la même occasion, probablement à Lyon au printemps 1494. »
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Jean Perréal à la cour
La cour et les voyages
Martin Warnke le souligne :
« Les artistes figurent de plus en plus souvent, à côté des humanistes de cour, parmi les compagnons de voyage des princes et de leur famille. »
« L’artiste prenait part au besoin culturel du prince, à son aspiration à connaître les valeurs culturelles qui avaient cours à l’étranger, pour pouvoir y ajuster sa propre cour. » (p. 284-285)
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Envoi dans les cours étrangères
Son passage en Allemagne n’est pas assuré. Marguerite d’Angoulême, dans la 32e nouvelle de L’Heptaméron ou Histoire des amans fortunez, Histoire d’une Dame allemande, racontée par le sieur de Bernage, fait intervenir Perréal : « Envoya son Painctre, nommé Jehan de Paris, pour luy rapporter ceste Dame au vif. »
« Ainsy s’en alla Bernaige faire sa charge &, quand il fust retourné devant le Roy son Maistre, luy fit tout au long le compte, que le Prince trouva tel comme il disoyt &, entre autres choses ayant parlé de la beaulté de la Dame, envoya son Painctre, nommé Jehan de Paris, pour luy rapporter ceste Dame au vif, ce qu’il feyt après le consentement de son mary, lequel, après longue pénitence, pour le desir qu’il avoyt d’avoir enfans & pour la pitié qu’il eust de sa femme qui en si grande humilité recepvoyt ceste pénitence, il la reprint avecq soy & en eust depuis beaucoup de beaulx enfans. »
Les noms de Charles VIII, du Tourangeau Bernage et de Jean Perréal donnent à cette nouvelle une apparence historique. Mais il s’agit d’une des nombreuses versions d'un conte très ancien, le conte du mari trompé, un épisode du Rumans de Pretheslaus,une œuvre en vers de Hue de Rotelande, d’avant 1191.
Que Marguerite d’Angoulême, sœur de François Ier, introduise Jean Perréal dans une des ses nouvelles peut signifier qu’il était très bien vu à la cour royale, que son humour était apprécié et qu’il prendrait sa présence dans un conte avec grand plaisir comme un signe d’hommage à son son talent de portraitiste.
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Cour de France et cour d’Angleterre
Dans son article : "Le personnel diplomatique au début du XVIe siècle. L'exemple des relations franco-anglaises de l'avènement de Henry VII au Camp du Drap d'Or (1485-1520)" (Dans Journal des savants, 1987, n° 3-4, p. 205-253), Charles Giry-Deloison cite deux fois Jean Perréal parmi les diplomates français.
Sur la répartition par " origines sociales ", il note que Jean Perréal figure parmi les 14 roturiers (soit 25,46% des diplomates d'alors) avec Jean d'Auffay, Robert de Bapaume, Antoine Bohier, Robert Gaguin, Georges Gaston, Jean Guérin, Antoine de Pierrepont, Denis Poillot, Etienne de Poncher, Guillaume de Sandouville, Pierre-Louis de Valtan, Jean du Vergier, Macé de Villebresme. La noblesse comptait 36 représentants soit 65,45 % des diplomates.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_1987_num_3_1_1509#
Perréal fait partie des artistes chargés de missions matrimoniales.
En 1514, Jean Perréal arrive en Angleterre avec Jean de Sains, seigneur de Marigny, pour « saisir Mary au vif » et l’aider à préparer un trousseau selon la mode française, pour son mariage arrangé avec Louis XII.
Il apporte avec lui un petit portrait de Louis XII représenté en buste. Il porte le collier de l’ordre de Saint-Michel et l’image de saint Denis en enseigne sur sa coiffe, marques qui affirment son autorité pleine et entière sur le royaume de France et contrent les prétentions des rois anglais au trône de France.

Jean Perréal, Louis XII, vers 1514
huile sur bois, 31,8 x 23,8cm
The Royal Collection
Windsor Castle, Berkshire
Nicole Hochner le décrit ainsi :
« Ce portrait mi-corps très réaliste fut sans doute exécuté dans le cadre des négociations diplomatiques entre Henri VIII et Louis XII en 1514. Il est donc de petit format. Le cadrage est étroit, le fond sombre, l’absence d’expression faciale et le regard lointain privent le spectateur de tout échange avec le personnage, celui-ci ne regarde que Dieu. Ses mains jointes au coin gauche inférieur de la toile indiquent une posture en prières. Son identité n’est révélée que par le collier et la richesse du costume ; Louis ne porte pas de couronne, ni aucun autre insigne de la royauté. Son profil révélé par les monnaies commémoratives ne nécessite pas de lourd appareil symbolique, et l’aspect impassible et minimaliste est volontaire : la paupière tombante, le sourcil légèrement froncé et fixant l’infini, il fait de Louis XII un modèle de ferveur religieuse. La lumière vient de Dieu et se focalise sur l’enseigne du chapeau à motifs religieux. Veuf et mis en échec par les grandes puissances européennes, Louis XII se présente à Marie Tudor en orant. »
(N. Hochner, Louis XII. Les dérèglements de l’image royale, Champ Vallon, 2006 p. 148-149)
« Étant donné la signification du portrait dans le cadre de la politique artistique des cours, les portraitistes ont été investis de la responsabilité de créer la bonne image des Grands. » (p. 276)
Un somptueux trousseau estimé à environ 43 000 livres, soit sont à la mode de France sur les conseils de Jean Perréal. Trois listes sont enregistrées. Celle citée par Mary Brown indique quinze robes et huit cottes à la mode française, neuf robes et huit cottes à la mode anglaise et trois robes et trois bonnets à la mode milanaise. Celle donnée par Herbert Norris décrit précisément quinze robes et huit cottes à la mode française ; neuf robes et neuf cottes de style anglais ; deux robes à la mode lombarde ; quarante-deux paires d’aiguillettes à attacher à ces robes ; trois coiffes de style milanais ; un manteau, deux capes et douze pièces les complétant. Celle de Letters and Papers présente quinze robes et sept cottes à la mode française, six robes et six cottes à la mode milanaise, sept robes et six cottes à la mode anglaise.
[ « Ce label " à la française" ne se rapporte en aucune façon à la manière de se vêtir de l’ensemble des Français, plus diverse qu’il ne le laisserait entendre. Il se rapporte au contraire à celle en vigueur à la cour alors que s’affermit globalement la position de la France sur le plan international. Se vêtir à la française est alors apprécié au tournant des XVe et XVIe siècles en Italie, lors des guerres du même nom, voire même en Espagne. » ]
(Isabelle Paresys, « Corps, apparences vestimentaires et identités en France à la Renaissance », Apparence(s), 2012, § 24.)
Perréal n’oublient pas que Louis XII revendique le duché de Milan et qu’il prépare un départ pour l’Italie au printemps prochain. En revêtant tour à tour des habits au goût français ou anglais, Mary montrera son attachement et sa loyauté à chacun des deux pays.
« Item une robe de velours de couleur pourpre, doublée de tissu jaune d’or sur satin. Item une robe de drap d’or orné de baudequin damassé et fourré d’hermine » pour les deux premières robes à la mode française. « Item une robe de satin pourpre bordée de drap de damas d’argent en taffetas noir. Item une robe de satin broché sur baudequin d’argent bordé avec de l’agneau » pour les deux premières robes à la mode anglaise.
Mais derrière ces mots, se cache tout un arc-en-ciel de couleurs et d’irisations, tout un chatoiement fascinant les regards et les sentiments.
Lors de son mariage par procuration à Greenwich, Mary est comblée par les lettres de félicitations et les cadeaux de mariage de toute l’Europe. Le plus beau est sans conteste offert par Louis XII. Jean de Sains, a apporté de France deux coffrets d’orfèvrerie, d’argenterie et de bijoux. L’un de ces bijoux est le Miroir de Naples évalué à 60 000 couronnes par un joaillier de Londres. C’est un diamant avec une perle en pendentif, rapporté de Naples avec tant d’autres trésors par Charles VIII, appelé miroir car sa taille lui dessine une grande « table » supérieure et des biseaux étroits. Comment mieux déclarer sa flamme qu’avec un diamant qui jette mille feux et comment mieux afficher l’étendue de sa richesse et de sa générosité !
Peut-être peut-on penser à une commande de sept tapisseries d’Antoine Le Viste appartenant à la tenture La Dame à la licorne du musée de Cluny et que j’attribue à Perréal. N’oublions pas que Jean Perréal (en tant que peintre officiel de Louis XII, puis de François Ier) et Antoine Le Viste ont été les proches spectateurs attentifs de tous les événements narrés dans ces panneaux de laine et de soie.
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Anonyme français, La princesse Mary Tudor, 1514 ?
(attribué à Jean Perréal
ou copie d’après un portrait de Jean Perréal)
Londres, National Portrait Gallery
Ce portrait de la National Portrait Gallery attribué à un artiste anonyme français est peut-être le premier des portraits de Mary.
Jean Perréal, peintre officiel, pourrait l’avoir croqué rapidement car l’impatience de Louis XII exige la rapidité de l’exécution à Londres et de l’envoi à Paris. Plus tard, il sera temps de peindre, à Londres ou à Paris, fortement inspiré du premier, un portrait sur bois exposé au musée des Arts Décoratifs de Paris.
Sept portraits de Mary sont conservés dans des recueils, à Aix-en-Provence (Bibliothèque Méjanes), Chantilly, Lille, Paris (Louvre), Florence (Offices), Knowsley Hall en Angleterre (album Pierre Mariette-Horace Walpole) et Oxford (Ashmolean Museum). L’original de Jean Perréal est-il l’un d’eux ?
http://www.dacres.fr/livre_mary_tudor_brandon.html
http://www.dacres.fr/livre_le_camp_du_drap_d_or.html
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Il suit les monarquesjusqu’à leur mort qu’il "habille"
Comme pour les funérailles d’Anne de Bretagne, Jean Perréal se voit confier l’organisation de celles de Louis XII. Comme l’année précédente, il fait un portrait au vif du défunt et crée l’effigie qui sera présentée sous un drap d’or tenu par des notables, il organise le cortège et s’occupe des décors. Les chapelles où le corps est exposé sont tendues de tissu bleu fleurdelisé par les soins des aides de Perréal, et lui-même s’occupe des bannières avec les devises et les images, notamment un grand saint Michel et un grand soleil ainsi que les écussons aux armes du roi.
Perréal a introduit quelques aménagements que lui ont suggérés deux ouvrages offerts par son ami Jean Lemaire de Belges à Marguerite d’Autriche : une relation des obsèques de son frère Philippe le Beau et un traité, intitulé Des anciennes pompes funeralles, pour lui faire découvrir les cérémonies funéraires de ses ancêtres.
Il conçoit les funérailles de Louis XII en apportant plusieurs innovations, consécutives peut-être aussi à ses voyages en Italie, par rapport aux funérailles de Charles VIII et d’Anne de Bretagne, principalement dans le déroulement du cortège. Premièrement, les « deux corps du roi » (le corps réel et l’effigie) seront visibles tout le long de la cérémonie. La présence d’une effigie a été instaurée pour rendre palpables deux notions : celle des « deux corps du roi », l’un visible et mortel et l’autre invisible et immortel, le corps politique ; et celle de la passation de pouvoir entre le roi défunt et son successeur. Deuxièmement, le corps du roi et l’effigie sont séparés. L’effigie n’est plus comme avant sur le cercueil dissimulé où le corps est enfermé. Séparés, ils sont placés sur deux chars différents, celui du cercueil avançant devant celui de l’effigie. Troisièmement, il semble que l’effigie ait été en position assise comme lors d’un cortège triomphal à l’antique.
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Conclusion
Philippe Lorentz :
« Sans l’arrière-plan idéologique qui sous-tend les analyses de Laborde, Martin Warnke, dans son livre sur L’artiste et la cour (1985), sous-titré Aux origines de l’artiste moderne, va dans le même sens en démontrant que la liberté de l’artiste moderne n’a pas son origine dans le système corporatif des villes, générateur de contraintes, mais dans la place privilégiée qu’il lui a été donné d’occuper à la cour, auprès du prince, et ce dès les XIIIe et XIVe siècles. »
(Léon de Laborde, La Renaissance des arts à la cour de France : études sur le XVIe siècle, 1850, tome II, p. 748-749.)
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5511287d.texteImage
« L’engagement d’un artiste sur un poste de valet de chambre est donc apparu au milieu du XIVe siècle de manière circonstancielle, mais s’est avéré un dispositif commode parce qu’il permettait la rémunération décente – sans être excessive – d’un artiste (payé comme un barbier ou comme un tailleur), tout en évitant l’écueil de l’emploi fictif, qui devait déplaire aux gestionnaires de l’hôtel. C’est pourtant loin d’être une option systématique au siècle suivant à la cour de France. »
À considérer les items de cette partie du site consacrée à Jean Perréal, on s’aperçoit que l’artiste de cour y est plus présent que l’employé du consulat de Lyon.
Les œuvres qu’on lui attribue de façon sûre et celles qu’on lui propose d’accepter ne concernent guère les travaux réclamés par la ville de Lyon. il est vrai que c’étaient des œuvres éphémères pour de nobles entrées d’un jour, à ressortir des hangars l’année suivante.
« L’une des premières commandes passées à Perréal semble être le fait du chapitre de Saint-Nizier qui demande à un Jean de Paris, en 1486, une enluminure destinée à réaliser la bannière de l’église (15 G 13, f°124). » (p. 96)
Tania Lévy le constate, sa moisson parmi les archives achevée :
« Le Consulat de Lyon s’occupe des affaires quotidiennes de la cité : lever les impôts, assurer la sécurité, entretenir la voirie, consolider les relations avec la cour et le roi … Mais son implication dans la commande artistique reste mineure, dans ses paroles comme dans ses actes. Aucun artiste n’est désigné comme peintre ou verrier en titre de la ville, bien que dans les faits, les consuls font sans cesse appel aux mêmes artistes, parmi lesquels se trouve Jean Perréal. » (article Entre consuls et rois)
Tania Lévy :
« Il nous faut partager les conclusions déjà pertinentes de N. Rondot sur le peu de peintres reconnus. Un noyau dur est en charge des tâches les plus importantes auprès des consuls, des chanoines et des archevêques (comme sans doute des bourgeois), au sein duquel se retrouvent plusieurs des peintres cités dans les Statuts. Si la grande majorité de ceux recensés reste dans l’ombre - bien que leur habitation, leur richesse voire leurs réalisations soient parfois documentées - certains maîtres sont sans cesse sollicités. Jean Prévost, Jean Perréal, Pierre d’Aubenas, Guillaume II Le Roy, Jean Ramel, les familles Besson et Bonte apparaissent ainsi régulièrement. Leurs engagements multiples soulignent une fois de plus cette polyvalence, qui trouve sa source même dans la caractérisation des commanditaires lyonnais… » (p. 343-344)
Pourtant, dans une ville extrêmement prospère, aucune commande d’envergure comme celle d’Anne de Bretagne à Nantes ou de Marguerite d’Autriche à Brou n’est à noter. L’hôtel de ville est décoré parcimonieusement ; les entrées princières ou les séjours royaux ne donnent pas lieu à des commandes particulières.
Les souverains ont "leurs" peintres et "leurs" artisans attachés à leur service et sollicitent peu les artistes lyonnais si l’on excepte quelques travaux d’enluminure, d’orfèvrerie et de broderie et les commandes adressées à Jean Perréal, en sa qualité de peintre du roi et de valet de chambre.
« Les mentions de décors sont pourtant présentes dans les archives et bien que pratiquement aucun vestige ne rappelle aujourd’hui cet aspect de la vie consulaire, il est nécessaire de retracer l’histoire de l’embellissement de l’hôtel de ville et la politique artistique mise en place par les consuls. L’étude des œuvres qu’ils font réaliser, tant au sein de la maison commune que dans les autres possessions du Consulat - chapelle et hôpitaux - doit permettre de comprendre les rapports entretenus entre les consuls et les peintres qu’ils sollicitent, mais également l’intérêt des premiers pour la commande publique. » (p. 149)
De même, la commande privée semble faible en dépit de la présence de familles riches, puissantes et savantes mais au goût artistique peu enclin au faste et qui s’adressent peu aux artistes lyonnais. Vingt-quatre chapelles ont été fondées ou édifiées autour des années 1500 dans les différentes églises de Lyon, mais il semble que cela n’a impliqué d’importantes commandes, de la part des notables et des ecclésiastiques.
« Quelle que soit la qualité du commanditaire privé, les détails sont toujours peu nombreux. Il reste donc difficile de se faire une idée précise des œuvres que les particuliers désiraient faire réaliser. » (p. 141)
Martin Warnke soutient que la situation grandissante de l'artiste à l'époque moderne est le fait des cours princières plus que des cités bourgeoises. Le cas de la ville de Lyon lui donne raison.
Tania Lévy, dans son article « Entre consuls et roi » nous donnera, en trois paragraphes, les éléments importants de la conclusion sur la place occupée par Jean Perréal dans ce jeu de va-et-vient :
« La rivalité – ou l’émulation – soulignée par M. Warnke, ne semble donc pas s’appliquer à Lyon. La position de Perréal à la cour n’entraîne, semble-t-il, aucunement l’émergence d’un goût particulier de la part des consuls pour les réalisations peintes. Ce peu d’intérêt pour la commande artistique nous amène à interroger plus avant l’impact de la présence de la cour dans la ville pour l’activité des peintres.
[…]
Les relations entre ville et cour présentent donc à Lyon un profil particulier. Sur le plan artistique, la personnalité de Jean Perréal semble cristalliser non pas une rivalité mais plutôt un terrain d’entente, le peintre continuant à résider régulièrement en ville tout en travaillant à la cour, et inversement.
[…]
Si Jean Perréal se distingue de ses collègues, les peintres de Lyon, ville de fête royale et résidence d’un peintre des rois, présentent en définitive plus le visage de l’élite artisanale décrite par Pierre Benoît et Philippe Lardin que celui de l’artiste autonome émergent tel que Martin Warnke l’a mis en évidence. » (Tania Lévy, article Entre consuls et rois)
Toutefois, sans employer la notion d’école, Tania Lévy décèle certaines spécificités régionales, notamment depuis la présence de Perréal l’attrait de la clientèle locale pour le portrait que Corneille de La Haye fera perdurer, offrant à la ville de Lyon une spécialité dans ce domaine.
Remarquons pour finir sa brûlante volonté de faire en sorte que son fils de 18 ans puisse étudier le droit, grâce à la protection de Marguerite d’Autriche. Il l’expose dans une lettre à Louis Barangier du 9 octobre 1511, écrite de Lyon.
« S'yl vous plaisoit de scavoir pour quoy j'ay envoyé ung filz de XVIII ans que j'ay aux estudes a Dole, c'est pour deux cas ; car il y a ja bonne université ; l'autre, car Madame m'en sara gré ; et celle que ne nomme, c'est que mon petit argent sera de mesure. »
Perréal indique qu'il a envoyé son fils à l'Université de Dole dans l'espoir que Marguerite d'Autriche lui en saura gré et accordera une bourse. Le fait est confirmé par divers documents des Archives du Nord, notamment par une lettre de Lemaire de Belges, datée de Dole, ce même 9 octobre, annonçant à Barangier qu'il vient d'accompagner le garçon et qu'il espère pour lui l'octroi d'un bénéfice.
Clément Marot nous apprend que ses filles étaient peintres. Son fils sera diplômé de droit, à l’instar de Jean Ier Le Viste, un des fils de Bartholomei Lo Vito (drapier et consul de Lyon), monté à Paris le diplôme de droit en poche et dont les descendants deviendront docteurs en lois, grand rapporteur et correcteur de la Chancellerie royale, conseiller au Parlement de Paris, maître des requêtes de l’hôtel du roi, jusqu’à l’ultime marche de cette ascension atteinte par Antoine Le Viste (le commanditaire de la tenture de La Dame à la licorne de Cluny, dessinée par notre Jean Perréal) président de Parlement de Paris.
Jean Perréal, faber fortunæ suæ, incarne en son temps l’artiste qui, devenu un modèle de réussite et de conduite, a atteint un haut statut social.
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