Enlumineur
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Enluminure du poème
Complainte de la Nature à l’alchimiste errant
L'automne, enlumineur silencieux et lent,
A déjà sur les murs rougi la vigne vierge.
La brise aux doigts furtifs fait trembler de l'argent
Sur la feuille, paupière agitée, et sur l'herbeCharles Guérin, Le cœur solitaire
Le mot « enluminer » vient du latin illuminare (avec changement de préfixe) qui signifie « qui produit de la lumière, astre ». Illumino c’est éclairer, illuminer ; embellir, orner ; mettre en lumière, rendre lumineux ; rendre illustre.
Luminatio (ou illuminatio), c’est l’éclairage, une illumination. Le luminator (ou illuminator) est celui qui éclaire et illuminatrix, celle qui éclaire.
« Enluminer » signifie « rendre lumineux » jusqu’au XVIe s.
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Ele fu Marie apelée,
De touz biens est enluminée
Robert de Boron, Roman du Saint Graal
Sa grant valor, kil purreit acunter ?
De tel barnage l’ad Deus enluminet
Meilz voelt murir que guerpir sun barnet.
(v. 534-536)
Sa grande valeur, qui pourrait la décrire ?
Dieu fait rayonner de lui tant de noblesse !
Il aimerait mieux la mort que de faillir à ses barons. »
Le Roman de Roland, entre 1065 et 1100.
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« Enluminer » est appliqué aux enluminures dès le XIIIe s.
Dès 1260, l’enlumineur est « celui qui enlumine » un manuscrit ou tout autre support, l’artiste spécialiste dans l’enluminure.
Dès 1302, l’enluminure est « l’art d'enluminer » (un manuscrit, etc.)
En 1676, le Dictionnaire de Félibien indique à l’entrée « enluminure » : « ornements qui décorent (un manuscrit, etc.) »
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Généralités
Pour évoquer avec grande précision la ville de Lyon dans les années où y vivait Jean Perréal, l’appel aux recherches de Tania Lévy est indispensable. Elles sont le point de passage obligé pour avoir une vue d’ensemble sur l’univers artistique et littéraire du Lyon renaissant.
Je puiserai jusqu’à étancher notre soif de savoir dans sa thèse de 2013 « Mystères » et « joyeusetés » : les peintres de Lyon autour de 1500 » et de l’ouvrage qui en résulte édité aux Presses universitaires de Rennes en 2017, avec une préface de Fabienne Joubert.
(Tania Lévy. “ Mysteres ” et “ joyeusetés ” : les peintres de Lyon autour de 1500. Art et histoire de l’art. Paris-Sorbonne, 2013.)
https://theses.hal.science/tel-01688643v1/document
https://theses.hal.science/tel-01688643v1
https://www.univ-brest.fr/crbc/fr/membre/tania-levy
https://cv.hal.science/tania-levy

La ville de Lyon connaît au début du XVIe siècle une prospérité économique et artistique pour diverses raisons : sa position géographique et politique, son importance commerciale en Europe à la fin du XVe siècle et le fréquent séjour de la cour des rois et des reines de France pendant les guerres d’Italie. Une vingtaine d’entrées royales et solennelles ont lieu dans la ville de Lyon autour de 1500.
(Elizabeth Burin, Manuscripts illuminations in Lyons, 1473–1530, Turnhout, 2001.)
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Les enlumineurs lyonnais
Tania Lévy écrit :
« Les XVe et XVIe siècles français ne font que rarement la différence entre les diverses pratiques artistiques et l’étude des termes employés ne permet pas toujours de distinguer le verrier qui fournit la matière première de celui qui réalise des verrières historiées, par exemple. À Lyon comme dans nombre de régions françaises, la désignation de peintre semble être la plus couramment utilisée, et son orthographe varie entre « paintre », « painctre », « peintre » et « peyntre ». (p. 35)
Si le mot « peintre » ne désigne pas uniquement les peintres sur panneau, « il semble que le terme d’enlumineur soit réservé à une pratique spécifique. »
En 1496, les statuts de la corporation des peintres, graveurs d'images (sculpteurs) et verriers de Lyon sont confirmés par lettres-patentes à Lyon, en décembre 1496, par Charles VIII. Ils sont quinze à avoir signé parmi lesquels Claude Guinet, Jean Prévost, Philippe Besson, Pierre de Paix dit d'Aubenas, Jean Blic, François de Rochefort, Jean de Saint-Priest, Huguenin Navarre. Jean Perréal est la tête de liste.
Ces statuts indiquent qu'ils œuvrent aussi bien à peindre des tableaux (douze sont désignés comme aptes à travailler aussi bien sur panneaux de bois que sur verre), enluminer des manuscrits, décorer des statues, des écussons, des bannières, des façades. Ils sont également mandatés pour effectuer les préparatifs des entrées solennelles, ou même des relevés pour des travaux de voiries.
Il est à noter que les enlumineurs n’étaient pas pris en compte dans cette liste.
Pièce justificative n° E-1- décembre 1496
Texte des statuts de la communauté des peintres, tailleurs d’images et verriers de Lyon, octroyé par Charles VIII.
Les Statuts instaurent la création d’une confrérie, celle de Saint-Luc, doublant la communauté professionnelle des peintres d’une organisation confessionnelle, pratique courante mais non systématique. La chapelle des peintres, sculpteurs et verriers est établie dans l’église des Cordeliers : »
Statuts de la communauté des peintres de Lyon, dansTania Lévy, « Mystères » et « joyeusetés » : les peintres de Lyon autour de 1500,t. II, p. 520-528. vol. II : https://theses.hal.science/tel-01688643v1/document
Natalis Rondot précise :
« Ces statuts que Jean Perréal avait rédigés ne durent pas être souvent appliqués au moins à cette époque. Charles VIII les avait confirmés sur les instances de son peintre (voir Ordonnances des rois de France, t. XX, p. 562 à 571), mais il avait concédé précédemment aux corps de métier de Lyon, par ses lettres patentes du 14 décembre 1486, la pleine liberté du travail et du commerce. L'intérêt de la cité avait fait prévaloir le régime de la liberté. »
(N. Rondot, Peintres de Lyon : un peintre lyonnais Claude Guinet de la fin du XVe siècle, Bernoux et Cumin, 1900, p. 47.)
Désormais, la liste des peintres et verriers comprend 213 artistes dont 45 verriers, 140 peintres (dont 17 enlumineurs) et 17 peintres-verriers et vendeurs de verre dénommés verriers.
Vers 1498, 12 enlumineurs sont recensés : Jean Bourgoys, Guillaume Choard, Michel Faure, Georges Jarsaillon (aussi écrivain), Etienne Joly, Etienne du Puy, Jean Rion, Jean et Pierre Roux, Guillaume Suyrat, Bertrand et Pierre Vanier.
Ces Statuts de1496, rédigés dans le but de protéger les peintres, sculpteurs et verriers lyonnais, leur interdisaient d’exercer plusieurs métiers. Mais cette interdiction « répétée deux fois, n’est visiblement pas respectée. De nombreux artistes sont connus pour avoir réalisé tantôt des peintures murales, tantôt des enluminures ou des vitraux.
Les enlumineurs sont souvent associés au monde du livre, plus qu’à celui des peintres. « Dix-sept enlumineurs sont désignés uniquement par ce terme et, s’ils sont parfois cités comme écrivains ou imprimeurs, ils ne sont jamais dits peintres (seul Jean Bonte fait peut-être exception. » (p. 55)
Tania Lévy note que : « Cette position est renforcée par leur exclusion des Statuts de 1496. Les indications matérielles pourtant abondantes dans ce texte ne s’intéressent jamais à la peinture sur parchemin ou papier. Cela n’est pas une situation limitée à Lyon : de nombreuses corporations ou confréries de peintres ne les acceptent pas dans leurs rangs 234. La majorité d’entre eux vit du côté de l’Empire, dont quatre autour de la rue Mercière. Leurs relations avec les cartiers, imprimeurs et libraires sont évidentes et soutenues, comme le montre leur voisinage. » (p. 56)
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Leur production
La production enluminée a en revanche été bien préservée : Elizabeth Burin recense 135 manuscrits enluminés pour la période 1473-1530.
« La production enluminée est importante, avec une organisation concentrée autour de quelques grands artistes, secondés par de nombreuses mains : on peut supposer le même schéma dans les ateliers de peintres. » (p. 72) 213 peintres, enlumineurs et peintres-verriers sont recensés sur les à Lyon entre 1461 et 1530. Seul Jean Perréal a laissé des œuvres attribuées avec certitude.
Tania Lévy précise : « Les nombreux manuscrits enluminés provenant de Lyon sont dus à des maîtres parmi lesquels il est, connus le plus souvent par des mentions d’archives uniquement. »
L’enluminure lyonnaise reste importante jusque dans les années 1520, avant de décliner véritablement. Les maîtres en sont anonymes et il est quasiment impossible de les identifier parmi tous les artistes lyonnais.
« Trois groupes d’enlumineurs se partagent la production : de la fin des années 1470 aux années 1490, le groupe formé autour du Maître de Guillaume Lambert travaille à de nombreuses réalisations et pour des destinataires divers. À partir des années 1490, l’atelier du Maître des Alarmes de Mars et du Maître du Keble prend le relais pour quelques années, remplacé ensuite par le Maître de l’Entrée et surtout Guillaume II Le Roy, personnage fondamental de la production enluminée. Ce peintre et graveur ne travaille en effet pas uniquement pour les érudits et les lettrés, mais également pour des ecclésiastiques et des notables lyonnais et étrangers. » (p. 123)
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Entre Cour et Ville
Tania Lévy écrit :
« Dans le domaine de l’enluminure, il semble bien que la présence royale – et celle de la cour – ait été importante pour la production lyonnaise. De nombreux manuscrits sont ainsi réalisés dans les années 1510 et 1520 à la demande d’érudits et d’auteurs sans doute présents dans la suite des rois. Macé de Villebresme, Robert Gaguin et Claude de Seyssel par exemple, tous chargés de missions d’ambassade par Charles VIII ou Louis XII, ont pu accompagner le roi lors de l’un de ses déplacements à Lyon. Plusieurs de ces ouvrages réalisés sur les bords de Saône concernent d’ailleurs des Histoires des rois ou sont offerts aux souverains. » (Tania Lévy, p. 131)
Cette présence de la cour se révèle plutôt favorable, surtout à partir des années 1510 et 1520. Mais l’enluminure lyonnaise est surtout l’activité de nombreux maîtres aux noms de convention (le Maître de l’Histoire Ancienne, le Maître du Keble, le Maître aux Pieds-Bots …) et leurs relations avec la ville de Lyon ou avec la cour sont difficiles à saisir précisément.
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Jumelage Lyon-Bourges
Dans sa thèse, Tania Lévy cite des cas de délégation aux ateliers d’enlumineurs lyonnais de représentation de commanditaires (p. 91) et l’envoi de manuscrits depuis Bourges à cette fin (p. 80).
« Un élément très intéressant de leur production est le contact entretenu avec Bourges et l’enlumineur Jean Colombe. En effet, au moins un manuscrit est réalisé en collaboration avec le peintre berrichon : le Ms 1 de la Société des Lettres, Sciences et Arts de Rodez renferme plusieurs scènes de sa main alors que le portrait du commanditaire, au f°169v, est l’œuvre de l’atelier du Maître de Guillaume Lambert. Il est fort probable que le manuscrit soit composé à Lyon avant d’être envoyé à Troyes, Colombe étant certainement passé sur les bords de Saône vers 1480. » (p. 123)

(Titre attesté : Heures à l'usage de Troyes, enluminé par Jean Colombe)
https://portail.biblissima.fr/ark:/43093/mdata64436313262e7c104bd36035a66ba9c4db7e1c62
« On note que si l’influence de Jean Bourdichon est importante à la fin des années 1490 dans l’enluminure, aucun cas de collaboration entre le peintre royal et les enlumineurs rhodaniens n’est connu. Ces derniers recouraient pourtant volontiers au partage du travail, avec des artistes étrangers, comme ce fut le cas avec Jean Colombe, par exemple. » (p. 238)
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Les commanditaires
Ce sont :
― des érudits comme Pierre Sala et Symphorien Champier qui se tournent vers Guillaume II Le Roy
― de riches Lyonnais « peu enclins à faire de somptueuses commandes dans le domaine de la peinture comme des autres arts. »
― des consuls, pour une commande privée
― des ecclésiastiques et des notables lyonnais et étrangers.
« Lyon est « réputée pour les talents de portraitistes de ses peintres : on délègue à ses ateliers la représentation des commanditaires. Le corpus attribué à Jean Perréal est par ailleurs composé presque exclusivement de ce genre. Serait-ce alors pour répondre à des patrons essentiellement bourgeois et marchands que les enlumineurs et les peintres ont développé cet art du portrait autonome. » (p. 148)
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La place de Jean Perréal
Tania Lévy souligne que « la place dévolue au peintre des rois reste importante, mais finalement plutôt en marge de l’art de sa ville. » Elle renvoie à l’article de Charles Sterling, publié en 1963, où il établit un premier corpus de ses œuvres, peu remis en cause depuis, « essentiellement des portraits peints ou dessinés, de petit format, auxquels plusieurs enluminures ont été ajoutées, mais toujours dans le domaine du portrait », comme le portrait de Pierre Sala, daté entre 1500 et 1515.

Les autres miniatures de l’ouvrage sont peut-être du Maître aux Pieds-bots, connu surtout pour ses gravures.
(Charles Sterling « Une peinture certaine de Perréal enfin retrouvée », L'Œil, nos 103-104, 1963.)
Tania Lévy remarque que les enluminures attribuées à Perréal sont presque toujours des portraits de personnages laïcs :

https://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ark:/12148/cc59320t

https://www.thedigitalwalters.org/Data/WaltersManuscripts/html/W447/
Perréal collabore avec un autre artiste, responsable des enluminures historiées : le Maître de l’Histoire Ancienne, le Maître du Keble ou le Maître aux Pieds-Bots.
« La grande réputation de Jean Perréal dans le domaine du portrait, remarquée notamment par Louis XII, justifie certainement cette distribution des tâches à l’intérieur des manuscrits. » p. 138)
Pierre Pradel (1963, p. 141) note l'appel que Louis XII adresse à Guillaume de Montmorency, le 18 avril 1507, lors de la campagne de Gênes : « Et quant la chancon sera faicte par Fenyn et voz visaiges pourtrait[ez] par Jehan de Paris, ferez bien de les m'envoyer pour monstrer aux dames de par deçà, car il n'en y a point de pareils. »
Note : « Bibl. nat., ras. fr. 2915, fol. 1 7. Cf. Nouvelles Archives de l’Art français, 1886, p. 1-9. — Rappelons le récit de Marguerite de Navarre (Heptaméron, IVe journée, 32e nouvelle) relatif à l'envoi par Charles VIII de son peintre Jean de Paris en Allemagne, pour rapporter le portrait d'une dame « au vif » ; il y a très vraisemblablement un fond de vérité dans cette anecdote. »
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