Jean Lemaire de Belges et Jean Perréal
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Leurs chemins vont se croiser à plusieurs reprises, dans les cours princières de Louis XII, Anne de Bretagne et Marguerite d’Autriche.
Jean Lemaire de Belges naît en 1473, en Belgique et décède à Paris vers 1524. Il rejoint la maison de Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas en 1504. Il y devient son secrétaire, son historiographe et son "indiciaire", c’est-à-dire son chroniqueur, puis son bibliothécaire après le décès son oncle poète Grand Rhétoriqueur Jean Molinet, en 1507.
(Un indiciaire est un terme désignant un chroniqueur au service de la cour de Bourgogne à la fin du XVe et au début du XVIe.)
En 1513, il sera de la cour de Louis XII en tant qu’historiographe, puis à la cour d’Anne de Bretagne.

Louis XII sur son trône dictant une lettre à Jean Lemaire assis
British Museum
L'estampe a été initialement publiée dans Les monumens de la monarchie françoise de Bernard de Montfaucon, volume IV, publié en 1732. Montfaucon indique que la planche reproduit une miniature illustrant "L'Epistre du roi très-Chrétien Loys douzième à Hector de Troye Chef des neuf Preux" de Jean Lemaire. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1085982/f23.image
En 1509, Marguerite d’Autriche, devenue régente des Pays-Bas, fait appel à Jean Lemaire de Belges pour le pilotage général du chantier de construction du monastère royal de Brou et à Jean Perréal pour sa conception artistique. En 1510, elle nomme Perréal peintre et valet de chambre.
Œuvrant main dans la main au début du projet commandé par Marguerite, leur amitié se délite. Dans son ultime lettre connue à Marguerite d'Autriche de Blois datée du 27 octobre 1512, Perréal écrit :
Madame, je ne me puis tenir de vous escripre, car amour ancienne me contraint, et ce scavez ; maiz a present je congnoiz que vous querez a me rebuter, ce que de vostre part se fait et de mon costé ne se fera, combien que maulgré Dieu ne seray en Paradis, bien congnoys que de vous ce ne vient.
Maiz comme j'ay piessa mandé a Monseigneur maistre Loys Barangier, il ne me chault des parleurs inventeurs de menteries, tant pour Jehan le Maire dont vous pensez par raport que soie cause, car luy mesme m'a menassé a batre ou tuer depuis Pasques enssa pour ce que luy ay remonstré sa nativité, sa nourriture et la bonté de la Dame qui bien le traitoit, qui est vous, Madame, qui l'avez levé et geté hors de la poullerie et pauvreté, tellement que chascun le congnoist tel qu'il est et s'en est alé demourer en Bretaigne pour ce que chacun le note, et avant qu'il soit guiere en orrez chanter mauvaise chansson ; et plus ne dis d'aultre.
Je croy que n'avez plus en moy nul vouloir a l'occasion d'aulcuns raporteurs, comme l'on m'a dit d'un quidam qui vous a raporté tant et tant de manteries que tout n'en vault rien.
Poète et chroniqueur, Jean Lemaire consacre plusieurs textes poétiques à ses protecteurs défunts :
Les Illustrations de Gaule et singularitez de Troye ont pour ambition d’élaborer des généalogies glorieuses de France et de Bourgogne. Ainsi, en mêlant mythe, histoire et religion chrétienne, il rattache les princes européens de la chrétienté à « l’ancienne noblesse des Troyens ». Marguerite d’Autriche, sa protectrice, devient alors la descendante de Francus, fils d’Hector et compagnon d’Énée. L’œuvre est destinée à éduquer le jeune Charles Quint, dont Marguerite est la tante et la tutrice, dans son rôle de futur souverain des Pays-Bas, de l’Espagne et du Saint-Empire romain germanique.
Jacques Abélard écrit en 1976 :
« Baudrier (Bibliographie lyonnaise, T.11, p. 3) en attribue trois à Guillaume Leroy, fils du plus ancien imprimeur lyonnais, surnommé le " maître au nombril ". Les vignettes de cet artiste sont en effet reconnaissables à ce que ses personnages lourds et trapus ont leur nombril souligné par une sorte de virgule. Il n'est pas impossible cependant que Perréal ait dessiné au moins les armes de Marguerite car celles-ci semblent porter sa griffe. »
Jacques Abélard, Les Illustrations de Gaule et singularitez de Troye de Jean Lemaire de Belges : étude des éditions, genèse de l'œuvre, Droz, 1976, p. 60.
Jacques Abélard, « "Les Illustrations de Gaule" de Jean Lemaire de Belges », Cahiers de l'AIEF, 1981, n° 33, p. 111-128.
https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1981_num_33_1_1902
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Jules Renouvier, dans Jehan de Paris, varlet de chambre et peintre ordinaire des rois Charles VIII et Louis XII, écrit en 1861 :
« Mais les meilleurs renseignements nous viendront encore ici de Jean Lemaire. Il avait commencé, étant encore au service de Marguerite, la publication de son livre fabuleux, historique & poétique, intitulé les Illustrations de Gaule & singularités de Troye, & il le poursuivit quand il passa au service d’Anne de Bretagne, avec les mêmes qualités de secrétaire indiciaire & historiographe.
[La première édition fut donnée à Lyon par Étienne Baland, avec un privilège du roi daté de Lyon 1599, une dédicace à Marguerite d’nous-mêmes, & une épître à Jehan Perreal datée de 1510. La seconde fut imprimée à Paris pour maistre Jean Lemaire, indiciaire & historiographe de la royne, par Geoffroy de Marnes, 1512 & 1513. Il y en eut d’autres en 1525, 1528 & 1529 avec les mêmes planches reproduites ou copiées.]
C’est là qu’avec les dédicaces aux deux princesses & avec les poésies en leur honneur, se trouvent les épîtres à « maistre Jehan Perreal de Paris, painctre & varlet de chambre ordinaire du roi », qu’il appelle son « singulier patron & protecteur », son « chier ami, le bon ami du roi, & notre second Zeuxis en paincture ».
L’auteur n’y fait aucune allusion aux figures qui décorent son livre, si ce n’est pour dire qu’elles font bien nécessaires à son propos, mais on peut bien soupçonner que le cher artiste n’y fut pas tout à fait étranger ; leur publication, presque simultanée à Lyon & à Paris, vient confirmer la conjecture. Ces figures consistent en sept planches, dont deux ne sont qu’une répétition agrandie, auxquelles viennent s’ajouter les marques des imprimeurs dans les diverses éditions.
― Les armoiries de l’auteur fort compliquées avec sa devise : De peu assez.

― Les armoiries d’Anne de Bretagne, écus accolés de Nous-mêmes & de Bretagne au-dessus d’un pré où broutent des vaches, avec la devise : Vivite felices. [point de vaches, mais les hérissons de Louis XII et les hermines de Bretagne]

― Noé ou Janus & Titea sa femme, réparateurs du genre humain, dans un navire.

― Hercules, premier roi de Gaule, Galatea sa femme, & Araxa, reine de Scythie, demi-femme & demi-serpent, représentations appropriées aux premiers chapitres du texte.

― Les armoiries de Marguerite d’nous-mêmes avec sa devise : Fortune infortune fort une (Fortis fortuna infortunat fortifer unam).

Ces planches font gravées avec régularité & fermeté sans trop de pesanteur, bien que les détails y soient crûment exprimés. Le dessin indique une manière sage, où le plus gros des façons italiennes est déjà imité.
La plus remarquable par la composition & par la taille, est celle qui fut ajoutée à l’édition de Marnes.

On y voit représentée la reine Anne sur son trône, à l’angle d’une enceinte formée de panneaux & d’un terrain fleuri ; devant la reine, s’ébattent trois demoiselles, &, à ses pieds, est la figure de la Puissance accompagnée d’un ange qui lui présente un livre. La reine est accoutrée à l’antique, avec les cheveux épars & la couronne sur la tête. Le caractère tout païen de la composition est encore marqué par le Mercure gaulois qui figure dans le fond, & par l’inscription au devant du trône DIVE IVNONI ARMONICE SACRVM [soit diva Iunoni harmonice sacrum, harmonieuse Junon, déesse sacrée].
Les miniaturistes n’avaient guère représenté la reine Anne que devant son prie-dieu ; les graveurs sur bois la représentèrent en Junon.
C’est sous son règne que la Renaissance avait fait son plus grand mouvement, & Jehan de Paris en avait été l’un des plus actifs promoteurs ; ce ne peut être que lui, attaché plus particulièrement à la reine comme valet de chambre & garde de la vaisselle, ami & patron de son historiographe, qui a donné le dessin de cette apothéose. Nous verrons que ce n’est pas le seul portrait d’elle qu’il eut à faire.
A la suite des Illustrations de Gaule parurent chez Geoffroy de Marnes d’autres opuscules, en prose & en vers, de Jehan Lemaire, & c’est dans l’épître qui accompagne l’un de ces opuscules, la Légende des Vénitiens, factum en faveur de la ligue de Cambrai, que se lisent les détails les plus intéressants sur notre peintre, dont l’auteur raconte les travaux en Nous-mêmes à la suite du roi.
De sa main mercuriale il a satisfait par grant industrie à la curiosité de son office & à la récréation des yeux de sa très chrétienne Majesté, en paignant & représentant à la propre existence, tant artificielle comme naturelle, dont il surpasse aujourd’hui nous les citramountains, les cités, les villes, chasteaux de la conqueste & l’assiette d’iceulx, la volubilité des fleuves, l’inégalité des montaignes, la planure du territoire, l’ordre & le désordre de la bataille, l’horreur des gisans en occision sanguinolente, la misérableté des mutilés nagans entre mort & vie, l’effroy des fuyans, l’ardeur & impétuosité des vainqueurs, & l’exaltation & hilarité des triomphans ; & se les ymaiges & painctures sont muettes, il les fera parler ou par la sienne propre langue bien exprimant & suaviloquente.
Par quoy à son prochain retour, nous envoyant ses belles œuvres, ou escoutant sa vive voix, ferons accroire à nous-mêmes avoir été présens à tout.
En rapportant cette description des tableaux & des dessins de Jehan de Paris, M. de Laborde a pensé qu’ils avaient été sans doute utilisés par les sculpteurs du tombeau de Louis XII (La Renaissance, t. I, p. 186).
On sait, en effet, que Jehan Juste en exécutant ce monument, en 1518, avait placé au soubassement des bas-reliefs représentant l’entrée de Louis XII à Milan, le passage des montagnes de Gênes & la bataille d’Aignadel.
On sait aussi que ces sculptures étaient traitées à la façon des peintres, avec des plans successifs, des fonds, des ciels & des paysages.
Nous avons indiqué, d’un autre côté, les livres d’histoire & de nouvelles où se trouvent des planches de batailles & de sièges, qui, dans leurs petites proportions, se rapportent à peu près aux descriptions de l’auteur. Il ne nous manque qu’un fil pour en faire une attribution plus précise. »
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Cf. Pierre Jodogne, « L'orientation culturelle de Jean Lemaire de Belges », Cahiers de l'Association internationale des études françaises, 1971, n° 23, p. 85-103.
https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1971_num_23_1_975
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Lemaire_de_Belges
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