Jean Perréal,
Le Maître de Moulins ?
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Triptyque de Moulins
ouvert et fermé
https://fr.wikipedia.org/wiki/Triptyque_du_Ma%C3%AEtre_de_Moulins
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Depuis l’extrême fin du XIXe siècle, les critiques proposent d’identifier Maistre Jehan le paintre, alias le Maître de Moulins, à Jean Perréal, Jean Prévost ou Jean Hey.
En 1896, l'historien français, René de Maulde la Clavière, dans une étude biographique sur Perréal, lui avait d'abord attribué le triptyque de la cathédrale de Moulins et quelques autres œuvres anonymes.
René De Maulde la Clavière, Jean Perréal dit Jean de Paris, peintre de Charles VIII, Louis XII et François Ier, Paris, E. Leroux, 1896.
En 1901, Camille Benoît, conservateur au département des peintures du Louvre, rassemble autour du triptyque de Moulins plusieurs peintures françaises anonymes qui lui semblent se rattacher toutes à la cour des Bourbons ; il en fait deux groupes et distinguait deux maîtres.
Camille Benoît, « La Peinture française à la fin du xve siècle (1480-1501) ». Gazette des Beaux-Arts, n° 26, 1901, p. 89-101, 318-332, 368-380 et n° 27, 1902, p. 65-76.
« En 1902, une hypothèse, qui a réuni beaucoup de suffrages, a stabilisé la controverse ; elle a proposé l’identification de Perréal avec le Maître de Moulins, nom donné à l’auteur présumé d’un groupe de tableaux rassemblés par voie de comparaison autour du célèbre triptyque de la cathédrale de cette ville et qui comprend presque toutes les plus belles œuvres françaises de la fin du XVe siècle. »
Madeleine Huillet d'Istria, « Jean Perréal », Gazette des beaux-arts, 1949, p. 316.
En 1902, le critique d'art belge, Georges Hulin de Loo, réunit ces groupes en un seul. Le Maître de Moulins naissait en qui il reconnaît Jean Perréal.
Georges Hulin de Loo, Exposition de tableaux flamands des xive, xve et xvie siècles. Catalogue critique, précédé d’une introduction sur l’identité de certains maîtres anonymes, Gand, 1902, p. 48-56.
En 1951, Jacques Dupont, utilisant les travaux d'archives de Paul Dupieux (qui exclut Perréal et avance Jean Prévost ou Jean le Verrier), propose le nom de Jean Prévost.
Jacques Dupont, « Le Maître de Moulins », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1950 (1945-1947), p. 225-227.
Dupont Jacques, « Jean Bourdichon, le maître de Moulins et Jean Perréal », Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1961, 1963. p. 58-60.
Paul Dupieux, « Les Maîtres de Moulins », Curiosités bourbonnaises, 1946.
« Créé à l'origine pour être identifié avec Perréal, maintenu par cette hypothèse, ce maître anonyme garde toujours — bien paradoxalement — son semblant d'unité, aujourd'hui encore, car les historiens d'art qui renoncent à y voir Perréal proposent à la place le nom d'un autre peintre. »
« J'ai récemment tenté de reconstituer le style de Jean Perréal sur d'autres bases qui prouvent qu'il ne pouvait pas être le Maître de Moulins, et qu'il fut un portraitiste de très grande classe. »
Madeleine Huillet d’Istria, La peinture française de la fin du Moyen Âge. Le Maître de Moulins, PUF, 1961, p. 10.
En 1961, Maurice Henry Goldblatt avance le nom de Perréal.
Maurice Henry Goldblatt, Deux grands maitres français : Le Maitre de Moulins, identifié ; Jean Perréal, 40 portraits identifiés, Paris, Braun & Cie, 1961. Traduction française par Andrée Riant et Marthe-Claire Fleury.
En 1963, Francis Salet écrit :
« Qui était le « Maître de Moulins » ? L'hypothèse Jean Perréal doit être abandonnée pour toutes sortes de raisons. Mieux vaut retenir la suggestion de M. Dupieux qui a proposé le nom de Jean Prévost qui figure sur un compte de 1502 comme l'artiste le plus imposé de la cour de Moulins. »
Francis Salet, « Études sur le Maître de Moulins », Bulletin Monumental, t. 121, n° 3, 1963, p. 269-271.
En 1968, Nicole Reynaud opte pour Jean Hey.
Nicole Reynaud, « Jean Hey peintre de Moulins et son client Jean Cueillette », Revue de l'Art, no 1-2, 1968, p. 34-37.
et « Nouveaux documents sur Jean Hey et ses clients Charles de Bourbon et Jean Cueillette », Bulletin monumental, no 161-2, 2003, p. 117-125.
En 1968, Charles Sterling propose le nom de Jean Hey.
Charles Sterling, « Jean Hey le Maître de Moulins », Revue de l'Art, nos 1-2, 1968, p. 26-33
En 1990, Philippe Lorentz et Annie Regond retiennent aussi Jean Hay.
Philippe Lorentz et Annie Regond, Jean Hey : le Maître de Moulins, Moulins, 1990, p. 56-57.
Philippe Lorentz, "Jean Hey, le Maitre de Moulins », École pratique des hautes éudes, Section des Sciences Historiques et Philologiques. Livret-annuaire, 2014, p. 247–252 (Histoire de l’art du Moyen Âge occidental. Rapport sur les conférences de l’année 2012–2013. https://journals.openedition.org/ashp/1620?lang=fr
En 1994, André Chastel dans sa synthèse L'Art français prend parti pour Jean Hey.
André Chastel, L'art français, Temps modernes, 1430-1620, Flammarion, 1994.
En 2001, Albert Châtelet propose d'identifier le Maître de Moulins avec Jean Prévost, actif de 1471 à 1497.
Albert Châtelet, Jean Prévost : Le Maître de Moulins, Gallimard, 2001.
En 2003, Pierre-Gilles Girault et Étienne Hamon accordent également au peintre anonyme Jehan le peintre le nom de Jean Hey.
Pierre-Gilles Girault et Étienne Hamon, « Nouveaux documents sur le peintre Jean Hey et ses clients Charles de Bourbon et Jean Cueillette », Bulletin monumental, Société française d'archéologie, t. 161-2, 2003.
En 2006, dans son ouvrage sur la peinture française du XVe siècle, Yves Bottineau-Fuchs adopte l'hypothèse de l'identité entre le Maître de Moulins et Jean Hey.
Yves Bottineau-Fuchs, Peindre en France au XVe siècle, Paris, Actes Sud, 2006.
Les organisateurs de l'exposition de 2010-2011 France 1500 identifient le Maître de Moulins à Jean Hey.
« Cette identification est faite à partir de l'authentification, grâce à une inscription au dos, du tableau Ecce Homo, réalisé par Hey pour Jean Cueillette, notaire et trésorier du duc de Bourbon. Selon le catalogue de l'exposition, cette identification est aussi corroborée par des documents retrouvés à Lyon mentionnant Jean Hey comme peintre du cardinal Charles de Bourbon dans les années 1480. Le catalogue attribue à Jean Hey le Triptyque de la Vierge en gloire entourée d'anges ou Triptyque du Maître de Moulins (non présent à l'exposition) et la Nativité avec le portrait du cardinal Jean Rolin, première œuvre du Maître de Moulins. (Wikipedia, page Jean Hey)
Il semble que l'ensemble des spécialistes de la question, sauf Albert Châtelet, soutiennent actuellement l'identification du Maître de Moulins à Jean Hey.
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En 1980, André Arnaud dans le tapuscrit initial de son étude sur La Dame à la licorne (consultable à la bibliothèque du musée de Cluny) accorde cette tenture à Jean Perréal.
Lorsqu’il aborde l’analyse de la tapisserie indépendante Pavie (qu’il nomme Le Toucher), il émet l’hypothèse que Jean Perréal est Le Maître de Moulins. Cette hypothèse s’appuie sur une description neuve et documentée de cette tapisserie, même s’il continue de nomme la Dame « Mary » (la reine de France Mary Tudor). Seule la présence d’Anne de France assurerait la cohérence de cette tapisserie qui n’appartient pas à la série initiale de sept tapisseries narrant la partie française de la vie de Mary Tudor Brandon.
« Tous les animaux sont entravés ou portent des colliers de contrainte, alors qu'ils sont libres sur les autres pièces : ils symbolisent la défaite de Pavie. Le roi de France prisonnier puis ses deux enfants, François le Dauphin et son jeune frère Henry (le futur Henry II) qu'il avait livrés, avec une certaine veulerie, à Charles Quint, afin d'obtenir pour lui-même sa liberté.
Tous ces détails permettent, au second degré, de reconstituer la véritable histoire qui est inscrite dans ce panneau.
Cette tapisserie du "Toucher" n'a pas pu être conçue avant l'année 1525, date de la défaite de François Ier à Pavie. Cette tapisserie relate le conflit entre François Ier d'un côté, Henry VIII, Charles-Quint et le Connétable de Bourbon de l'autre. »

« Le visage de Mary [ce n’est plus Mary Tudor, reine de France, mais Anne de France], sur cette tapisserie du "Toucher" [Pavie] une très grande différence morphologique avec les autres visages de la Dame. Quelqu'un d'autre lui a prêté ses traits. Sinon, il manquerait un quatrième personnage sur cette tapisserie : le Connétable de Bourbon. Anne de Bourbon, marraine, belle-mère et protectrice de Charles III de Bourbon, a donc prêté ses traits à Mary. On peut comparer ce visage avec celui d'un portrait d'Anne de Bourbon qui est au Louvre.
Athéna avait cette possibilité, qu'en connaissance de cause le peintre a employé, de changer ses traits. Elle s'était transformée en vieille femme dans la querelle d'Arachné. Elle avait pris les traits de Mentor pour protéger Ulysse et Télémaque, son fils. Mary, plutôt genre "poupée d'amour", ne convenait guère pour l'emploi.
Anne de Bourbon venait de mourir peu d'années avant la création de cette tapisserie et Perréal, (le mystérieux Maître de Moulins ?) dut en avoir beaucoup de tristesse. Il avait beaucoup travaillé pour celle qu'on appelait alors "Madame Grande", "la femme de guerre et de paix, celle qui est toujours droite comme une lance", termes qui conviennent bien pour Athéna.
C'était faire d'une pierre deux coups, l'occasion de lui rendre un dernier hommage.
Certains détails vestimentaires dont est parée la déesse se retrouvent sensiblement identiques sur l'une des statues de Jean de Chartres, Sainte Suzanne, à l'effigie de la fille d'Anne de Bourbon, dont le maître de Moulins à peint le portrait dans le triptyque de cette ville. Cette statue, avec celles de Saint-Pierre et de Sainte-Anne, coiffait autrefois l'une des tours du château de Chantelle, résidence favorite d'Anne de Bourbon. Et notre peintre ne l'ignorait certainement pas.
Des rapports étroits ont existé entre Anne de Bourbon et Mary d'Angleterre. Louis XII fit appel à sa "vieille complice" pour enseigner les bonnes manières françaises à la jeune Princesse anglaise. Il la fit venir de Moulins pour vivre à la Cour. De solides liens d'amitié s'étaient formés entre ces deux femmes. L'une et l'autre avaient un intérêt vital pour les renforcer, si besoin était ; elles avaient toutes deux à lutter contre une ennemie commune : Louise de Savoie.
Quant aux déplacements de travail de Jean Perréal, ils semblent calqués sur ceux du Maître de Moulins.
Jean Perréal a été considéré un temps par les historiens d'art comme ayant pu être lui-même ce mystérieux Maître de Moulins.
Il n'y a que le Maître de Moulins qui ait pu songer à donner les traits d'Anne de Bourbon à Mary d'Angleterre [idem], par le truchement de la Déesse Athéna. »
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Pour ma part, tout seul dans mon coin, depuis ma lecture en 1980 de l’analyse d’André Arnaud, j’accorde sans hésitation les tentures de La Chasse à la licorne et de La Dame au lion et à la licorne à Jean Perréal car j’y trouve sa signature, « Perréal ».
Je reconnais le portrait d’Anne de France du Triptyque de Moulins dans la Dame de la tapisserie Pavie appelée faussement Le Toucher.
Je conviens que ce détail n’implique pas forcément que le triptyque soit l’œuvre de Perréal ; il a pu « emprunter » le dessin à Jean Hey (si…) ou reprendre un des ses propres portraits sur le vif d’Anne de France.
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