ut pictura poesis
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De Perréal à Le Lieur :
Tant noble est il le bon pintre et facteur,
Si fayt le vif, qu'il semble ung créateur,
Et vous, poete et bons pintres de nom
A nous egaulx, qui n'est petit renom,
Par la puissance et de langue et de mains,
Vous estes plus en nature que humains
[Le bon peintre est si noble,
Il crée l'illusion du vivant, qu'il en devient un créateur.
Et vous, poètes et peintres de renom,
Vous nous êtes égaux, et ce n’est pas peu glorieux,
Par la puissance de vos mots et de vos mains,
Vous êtes plus que de simples humains.]
Perréal retrouve ici la pensée d’Horace, exprimée dans la formule « Ut pictura poesis » dans son Art poétique, au vers 361 :
Ut pictura poesis : erit quae, si propius stes,
Te capiat magis ; et quaedam, si longius abstes :
Haec amat obscurum ; volet haec sub luce videri,
Judicis argutum quae non formidat acumen ;
Haec placuit semel, haec decies repetita placebit.
Comme la peinture, la poésie : l’une séduira davantage
si l’on s’approche tout près ; l’autre, si l’on reste à distance.
Celle-ci aime l’ombre ; celle-là veut se montrer en pleine lumière,
n’ayant rien à craindre de l’œil perçant du critique.
L’une plaît une seule fois, l’autre plaira quand on la relira dix fois.
Il en est de la poésie comme de la peinture. Un tableau, vu de près, te saisira davantage ; et cet autre, si tu t’en éloignes. L’un aime le demi-jour, l’autre veut être regardé en pleine lumière et ne craint pas l’œil perçant du juge ; l’un a plu une fois, l’autre plaira dix fois de suite. (traduction Leconte de Lisle)
Clément Marot y revient également dans son rondeau XXIXe (L'Adolescence Clémentine, 1532) dans lequel il rend hommage à son ami Claude Perréal par sa « plume » et les sœurs de Claude par « tableau » peint :
En grand regret, si pitié vous remord,
Pleurez l’Amy Perreal, qui est mort,
Vous ses Amys : chascun prenne sa plume :
La mienne est preste, & bon desir l’alume
A deplorer (de sa part) telle mort.
Et vous ses Sœurs, dont maint [beau] Tableau sort,
Paindre vous fault, pleurantes son grief fort
Pres de la tombe, en laquelle on l’inhume
En grand regret.
Se trouvent réunies sans hiérarchie la Rhétorique et la Peinture, même si parfois à la Renaissance, certains comme Léonard de Vinci, rompant avec la pensée du Moyen Âge, postulent la supériorité de l’image sur la parole, la peinture étant considérée comme modèle de la littérature en raison de sa capacité immédiate à appréhender le réel.
Ellen Delvallée, Poétiques de la filiation. Clément Marot et ses maîtres : Jean Marot, Jean Lemaire et Guillaume Cretin, thèse, 2017, p. 155-159.
https://theses.hal.science/tel-01692632/file/DELVALLEE_2017_archivage.pdf
Perréal, à la fois peintre et poète, réalise cette « union parfaite », cette « gémellité » honorée par Horace.
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Perréal parle de son art
De mon pauvre art, ainsi que tu les faitz.
Aprentif suis, et ne suis qu'un breslart
Qui va suivant pas a pas ce bel art,
Immytateur de madame Nature,
Au vif tirant par fictive pinture.
Tant noble est il le bon pintre et facteur,
Si fayt le vif, qu'il semble ung créateur,
Mais n’ay tant sceu contrefaire par l'ær,
Par trectz subtilz, ne par mon beau parler,
Vifves couleurs ne juste perspective,
Que mon pourtraict eust la geste nayfve,
Et bien que j'aye ung peu de geométrie
Par le compas et propre symetrie,
Phizonomye en qui le vif conciste,
La gist le point que doit savoir l'artiste,
Et les couleurs couvrent a point le trect ;
Mais le plus fort est que tout soit pourtraict
Bien justement et de bonne mesure,
Ou autrement il n'aproche nature.
Ce bien n’ay eu par elle ne par don ;
Ne sceu lalum, longum, ne profundum,
Qui sont en tout les trois dimensions,
Pour vous fournir telles inventions.
Et fault avoir par science regie
Œul bien certain pour prendre l'efigie.
Tout bien compté, il y a du sçavoir
Autant et plus que ne peuz concepvoir.
Soit en français moderne :
De mon pauvre art, comme tu le dis si bien,
Je ne suis qu’un apprenti, un maladroit,
Qui avance pas à pas dans ce bel art,
Imitant Madame Nature,
Cherchant à représenter le vivant par une peinture inventée.
Car l’art du bon peintre, du véritable créateur,
Est si noble qu’en peignant le réel, il semble devenir un dieu.
Mais je n’ai pas su imiter par la ressemblance,
Par traits subtils ni par les beaux artifices de mon art,
Ni par vives couleurs ni par juste perspective,
Pour que mon portrait ait l’expression naturelle.
Et même si je connais un peu la géométrie,
Grâce au compas et à la bonne symétrie,
C’est dans la physionomie – où réside le vivant –
Que se trouve le point essentiel que doit connaître l’artiste.
Car les couleurs recouvrent bien les traits,
Mais l’essentiel est que tout soit dessiné
Avec justesse et mesure,
Sinon, l’œuvre ne ressemble pas à la nature.
Je n’ai pas reçu ce don, ni de la nature, ni du ciel ;
Je n’ai pas su rendre la hauteur, la largeur ni la profondeur –
Les trois dimensions essentielles –
Pour te livrer de telles inventions.
Il faut, par une science rigoureuse,
Avoir un œil sûr pour saisir l’effigie.
En résumé, il y a là un tel savoir,
Autant, voire plus, que tu ne peux l’imaginer.

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De la sculpture ou de la peinture,
quel est l’art le plus noble ?
Cette comparaison des mérites respectifs de la peinture et de la sculpture est baptisée le Paragone ; elle a beaucoup occupé les artistes de la Renaissance.
Dans son Traité de peinture, Léonard De Vinci revendique pour le peintre un statut supérieur à celui des autres plasticiens, des musiciens et des écrivains. Il y analyse les questions d’intellectualité et difficulté du travail, de durabilité de l’œuvre, d’universalité et de vérité de la représentation. La sculpture qu’il rabaisse au niveau des arts mécaniques, les plus vils, mécontente son contemporain Michel-Ange.
Leonardo da Vinci, Trattato della Pittura
https://www.mauronovelli.it/Leonardo%20Trattato%20della%20pittura.pdf
2. Esempio e differenza tra pittura e poesia.
Tal proporzione è dalla immaginazione all'effetto, qual è dall'ombra al corpo ombroso, e la medesima proporzione è dalla poesia alla pittura, perché la poesia pone le sue cose nella immaginazione di lettere, e la pittura le dà realmente fuori dell'occhio, dal quale occhio riceve le similitudini, non altrimenti che s'elle fossero naturali, e la poesia le dà senza essa similitudine, e non passano all'impressiva per la via della virtú visiva come la pittura.
[…]
La pittura rappresenta al senso con piú verità e certezza le opere di natura, che non fanno le parole o le lettere, ma le lettere rappresentano con piú verità le parole al senso, che non fa la pittura. Ma dicemmo essere piú mirabile quella scienza che rappresenta le opere di natura, che quella che rappresenta le opere dell'operatore, cioè le opere degli uomini, che sono le parole, com'è la poesia, e simili, che passano per la umana lingua.
2. Exemple et différence entre la peinture et la poésie.
Il existe la même proportion entre l'imagination et l'effet qu'entre l'ombre et le corps ombragé, et la même proportion entre la poésie et la peinture, car la poésie place ses objets dans l'imagination des lettres, et la peinture les présente véritablement hors de l'œil, de cet œil elle reçoit des similitudes, comme si elles étaient naturelles, tandis que la poésie les présente sans cette similitude, et ils ne passent pas à l'impression par la voie de la vertu visuelle comme le fait la peinture.
[…]
La peinture représente les œuvres de la nature aux sens avec plus de vérité et de certitude que les mots ou les lettres, mais les lettres représentent les mots aux sens avec plus de vérité que la peinture. Or, nous avons dit que la science qui représente les œuvres de la nature est plus admirable que celle qui représente les œuvres de l'artiste, c'est-à-dire les œuvres humaines, que sont les mots, comme la poésie et autres, qui passent par le langage humain.
L'argument principal compare l'œil, considéré comme le plus noble instrument de perception, à l'oreille. L'œil, véritable médiateur entre le monde des objets et la réceptivité humaine, permet aux images d'apparaître immédiatement et simultanément. C'est la seule façon d'atteindre une harmonie fondée sur les proportions. L'oreille, ou plutôt le sens de l'ouïe, dont dépend la poésie, évoque les formes des objets avec moins de clarté et de retard que l'œil. Le mot « tard » utilisé par Léonard signifie évidemment « pas en même temps ».
6. Come la pittura abbraccia le superficie, figure e colori de'corpi naturali, e la filosofia sol s'estende nelle lor virtú naturali.
La pittura si estende nelle superficie, colori e figure di qualunque cosa creata dalla natura, e la filosofia penetra dentro ai medesimi corpi, considerando in quelli le lor proprie virtú, ma non rimane satisfatta con quella verità che fa il pittore, che abbraccia in sé la prima verità di tali corpi, perché l'occhio meno s'inganna.
6. De même que la peinture embrasse les surfaces, les formes et les couleurs des corps naturels, la philosophie ne s’étend qu’à leurs vertus naturelles.
La peinture s'étend aux surfaces, aux couleurs et aux figures de tout ce qui est créé par la nature, et la philosophie pénètre dans les mêmes corps, en considérant leurs vertus propres, mais elle ne se contente pas de cette vérité que fait le peintre, qui embrasse en lui-même la vérité première de ces corps, parce que l'œil est moins trompé.
10. Del poeta e del pittore.
La pittura serve a piú degno senso che la poesia, e fa con piú verità le figure delle opere di natura che il poeta, e sono molto piú degne le opere di natura che le parole, che sono opere dell'uomo; perché tal proporzione è dalle opere degli uomini a quelle della natura, qual è quella ch'è dall'uomo a Dio. Adunque è piú degna cosa l'imitar le cose di natura, che sono le vere similitudini in fatto, che con parole imitare i fatti e le parole degli uomini.
E se tu, poeta, vuoi descrivere le opere di natura colla tua semplice professione, fingendo siti diversi e forme di varie cose, tu sei superato dal pittore con infinita proporzione di potenza; ma se vuoi vestirti delle altrui scienze separate da essa poesia, elle non sono tue, come astrologia, rettorica, teologia, filosofia, geometria, aritmetica e simili; tu non sei allora poeta, tu ti trasmuti, e non sei piú quello di che qui si parla.
10- Du poète et du peintre.
La peinture a une fonction plus noble que la poésie et dépeint les œuvres de la nature avec plus de vérité que le poète. Or, les œuvres de la nature valent bien plus que les mots, qui sont les œuvres de l'homme ; car il existe entre les œuvres de l'homme et celles de la nature la même proportion qu'entre l'homme et Dieu. Il est donc plus noble d'imiter les choses de la nature, qui sont de véritables ressemblances, que d'imiter par des mots les actes et les paroles des hommes.
Et si toi, poète, tu veux décrire les œuvres de la nature par ta simple profession, en simulant différents lieux et formes de choses diverses, tu es surpassé par le peintre d'une infinie puissance ; mais si tu veux te revêtir des sciences d'autrui, séparées de cette poésie, elles ne sont pas les tiennes, comme l'astrologie, la rhétorique, la théologie, la philosophie, la géométrie, l'arithmétique, etc. Vous n’êtes plus poète, vous êtes transformé, et vous n’êtes plus ce dont nous parlons ici.
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