LA FAUNE

 

L'évocation de la chasse

dans La Dame

 

Elle symbolise les luttes dynastiques et politiques

L'antagonisme des deux familles royales se manifestait aussi dans ce domaine. Si Louis XII était passé maître en fauconnerie, François 1er préférait la chasse avec des chiens courants, plus proche d'une réelle bataille, occupations où il montrait un grand courage physique.

Elle symbolise la lutte amoureuse

Tout au long de la tenture, le "jeu" des amants est évoqué, surtout par la présence antagoniste de la héronne et du faucon. Pie et faucon pour Mary et Louis XII dans Le Goût, héronne et faucon pour Mary et François 1er et/ou Charles Brandon dans L'Ouïe et L'Odorat, héronne et faucon enfin dans Le Toucher-La Tente pour les nouveaux mariés, Mary et Charles.

Pavie ne fait que reprendre en l'inversant le dessin du couple héronne/faucon du Toucher-La Tente.

Elle symbolise l'envie liée au/x désir/s individuel/s

de chacune et de chacun (personnages historiques tissés, artiste, commanditaire ; et peut-être chacune et chacun de nous). La rapacité du désir est brillamment évoquée dans le "combat d'amour" que se livrent dans la garance les couples héronne-faucon et lapins-chiens/renards ; ou encore dans "l'oralité prédatrice" des lions du Goût, de L'Odorat, du Toucher-La Tente, comme prêts à mordre et à griffer.

 

Le combat aérien du faucon et du héron

Dans trois tapisseries, L'Ouïe, Le Toucher-La Tente et Pavie, au plus haut du ciel, un faucon venant de droite ou de gauche, fond sur sa noble proie qui présente alors défensivement le "perforant" de son bec et le "tranchant" de ses griffes. L'éventration est un risque encouru.

La chasse : occupation voulue de haute dignité par la caste aristocratique, exhibition de soi, entraînement à la guerre par l'esprit et les gestes, spectacle où l'excitation des airs gagnait les nobles cavaliers. Pulsion mortifère. Élan érotique.

Les grands seigneurs entretenaient à grand prix leur armée, leur chenil et leur volerie : héronnière et fauconnière. L'aristocratie qui avait interdit la fauconnerie aux roturiers distinguait la chasse au "haut-vol" avec le faucon, volant droit et haut et tuant d'un coup, de la chasse de "bas-vol" avec l'épervier ou l'autour qui chassent "sournoisement" en se faufilant. Les grues et les hérons chassés constituaient en outre des mets de choix.

En choisissant la chasse au haut-vol, le faucon chassant la héronne, le duo commanditaire-peintre a voulu introduire la famille Le Viste dans un univers hautement aristocratique, prestigieux. Et tout autant amoureux car le faucon, sensé posséder les vertus "chevaleresques" comme la noblesse, la bravoure, l'intelligence, peut être offert à la Dame de son cœur en témoignage d'amour.

 

 

La chasse, vénerie du cerf et fauconnerie, est à considérer comme une métaphore des rapports humains, qu'ils soient d'amour, de ruse ou de violence. Le vocabulaire est le même : l'amoureux-chasseur lance ses flèches, tend ses filets, tombe amoureux et peut devenir, à son tour, proie chassée.

La figuration de quelques lévriers se situe dans le même registre cynégétique. Le lévrier chassait le lièvre avec vélocité et passion. Il fréquentait aussi les écus où sa présence héraldique signifiait fidélité, courage et obéissance.
Ainsi compte-t-on un lévrier dans L'Odorat, Le Goût et L'Ouïe, deux lévriers en opposition oblique dans La Vue et Le Toucher-La Tente.
Dans La Dame, ce sont surtout des chiens aristocratiques, certains à colliers décoratifs, enclins plus à s'amuser qu'à chasser, la mine réjouie et le nez en l'air, insouciants, en dialogue attentif avec d'autres animaux, intéressés semble-t-il par les scènes jouées au centre des tapisseries. Fidèles, dévoués et intelligents, ils ont leurs mots à dire et n'en pensent pas moins : cette histoire les concerne aussi.

La chasse au léopard était aussi pratiquée. Par Louis XII en particulier. Le léopard était porté à cheval par un veneur. Dressé, il attaquait le gibier débusqué. Les léopards de la vénerie royale vivaient dans les fossés du château d'Amboise près de la porte appelée Porte aux lions, autres carnassiers. A cette époque, panthères et léopards pouvaient être confondus dans l'esprit des gens et l'iconographie.

 

 

La présence assidue d'animaux relevant d'un bestiaire de la chasse et de la rapine participe à cette évocation : lionceaux, renards, loup, panthères, genettes, pies. Le Moyen Âge occidental oppose le blanc et le rouge, comme dans le jeu d'échecs par exemple. Mais dans la nature, l'opposition la plus marquée est celle du blanc et du noir. Ainsi, dans les bestiaires et les aviaires, la pie, bavarde et voleuse, revêt le plumage du mensonge et de la dissimulation, comme son compère ailé le cygne qui cacherait sous son plumage blanc une chair noire.

Monde dangereux où la lutte est nécessaire pour vivre et survivre. La volaille : hérons, faisans, perdrix, a été créée pour être plumée (en tous sens du terme), l'agneau et la chèvre pour être sacrifiés, le lapin saigné, sous le regard amusé ou lointain du chien de compagnie et du singe de cour, imitateurs nés.

 

En résumé, apprécions l'utilisation diverse, cohérente et intelligente des animaux dans La Dame :

— les licornes et les lions pour étayer la vérité historique de chaque scène.
— le faucon et la héronne (et dans une moindre mesure le chien et le lapin) pour mimer la quête amoureuse.
— les lapins pour inscrire l'histoire de Mary dans la sexualité humaine procréatrice
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— les autres animaux pour souligner plus intensément par voie analogique, métaphorique, symbolique, des situations, des sentiments.